The Project Gutenberg EBook of Les Fleurs du Mal, by Charles Baudelaire Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. 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LES FLEURS DU MAL par CHARLES BAUDELAIRE _Preface par Henry FRICHET_ [Illustration] PREFACE Charles Baudelaire avait un ami, Auguste Poulet-Malassis, ancien eleve de l'ecole des Chartes, qui s'etait fait editeur par gout pour les raffinements typographiques et pour la litterature qu'il jugeait en erudit et en artiste beaucoup plus qu'en commercant; aussi bien ne fit- il jamais fortune, mais ses livres devenus assez rares sont depuis longtemps tres recherches des bibliophiles. Les poesies de Baudelaire disseminees un peu partout dans les petits journaux d'avant-garde comme le _Corsaire_ et jusque dans la grave _Revue des Deux-Mondes,_ n'avaient point encore, en 1857, ete reunies en volume. Poulet-Malassis, que le genie original de Baudelaire enthousiasmait, s'offrit de les publier sous le titre de _Fleurs du Mal,_ titre neuf, audacieux, longtemps cherche et trouve enfin non point par Baudelaire ni par l'editeur, mais par Hippolyte Babou. Les _Fleurs du Mal_ se presentaient comme un bouquet poetique compose de fleurs rares et veneneuses d'un parfum encore ignore. Ce fut un succes--succes d'ailleurs prepare par la _Revue des Deux- Mondes_ qui, en accueillant un an auparavant quelques poesies de Baudelaire, avait mis sa responsabilite a couvert par une note singulierement prudente. De nos jours une pareille note ressemblerait fort a une reclame deguisee: « Ce qui nous parait ici meriter l'interet, disait-elle, c'est l'expression vive, curieuse, meme dans sa violence, de quelques defaillances, de quelques douleurs morales, que, sans les partager ni les discuter, on doit tenir a connaitre comme un des signes de notre temps. Il nous semble, d'ailleurs, qu'il est des cas ou la publicite n'est pas seulement un encouragement, ou elle peut avoir l'influence d'un conseil utile et appeler le vrai talent a se degager, a se fortifier, en elargissant ses voies, en etendant son horizon. » C'etait se meprendre etrangement que de compter sur la publicite pour amener Baudelaire a resipiscence; le parquet imperial ne prit pas tant de menagements. Le livre a peine paru, fut defere aux tribunaux. Tandis que Baudelaire se hatait de recueillir en brochure les articles justificatifs d'Edmond Thierry, Barbey d'Aurevilly, Charles Asselineau, etc..., il sollicitait l'amitie de Sainte-Beuve et de Flaubert (tout recemment poursuivi pour avoir ecrit _Madame Bovary_), des moyens de defense dont les minutes ont ete conservees et dont il transmettait la teneur a son avocat, Me Chaix d'Est-Ange. Sur le requisitoire de M. Pinard (alors avocat general et plus tard ministre de l'Interieur), le delit d'offense a la morale religieuse fut ecarte, mais en raison de la prevention d'outrage a la morale publiques et aux bonnes moeurs, la Cour prononca la suppression de six pieces: _Lesbos, Femmes damnees, le Lethe, A celle qui est trop gaie, les Bijoux et les Metamorphoses du Vampire,_ et la condamnation a une amende de l'auteur et de l'editeur (21 aout 1857). Le dommage materiel ne fut pas considerable pour Malassis; l'edition etait presque epuisee lors de la saisie. Tout d'abord, Baudelaire voulut protester. On a retrouve dans ses papiers le brouillon de divers projets de prefaces qu'il abandonna lors de la reimpression a la fois diminuee et augmentee des _Fleurs du Mal_ en 1861. Cette mutilation de sa pensee par autorite de justice avait eu pour resultat de rendre les directeurs de journaux et de revues tres mefiants a son egard, lorsqu'il leur presentait quelques pages de prose ou des poesies nouvelles; sa situation pecuniaire s'en ressentit. Il travaillait lentement, a ses heures, toujours preoccupe d'atteindre l'ideale perfection et ne traitant d'ailleurs que des sujets auxquels le grand public etait alors (encore plus qu'aujourd'hui) completement etranger. Lorsque Baudelaire posa en 1862 sa candidature aux fauteuils academiques laisses vacants par la mort de Scribe et du Pere Lacordaire, il etait, dans sa pensee, de protester ainsi contre la condamnation des _Fleurs du Mal._ L'insucces de Baudelaire a l'Academie n'etait pas douteux. Ses amis, ses vrais amis, Alfred de Vigny et Sainte-Beuve, lui conseillerent de se desister, ce qu'il fit d'ailleurs en des termes dont on apprecia la modestie et la convenance. On a beaucoup parle de la vie douloureuse de Baudelaire: manque d'argent, sante precaire, absence de tendresse feminine, car sa maitresse Jeanne Duval, une jolie fille de couleur qu'il appelait son « vase de tristesse », n'etait qu'une sotte dont le coeur et la pensee etaient loin de lui. Son seul esprit, son mechant esprit etait de tourner en ridicule les manies de son ami. Cependant elle etait charmante, nous dit Theodore de Banville, « elle portait bien sa brune tete ingenue et superbe, couronnee d'une chevelure violemment crespelee et dont la demarche de reine pleine d'une grace farouche, avait a la fois quelque chose de divin et de bestial ». Et Banville ajoute: « Baudelaire faisait parfois asseoir Jeanne devant lui dans un grand fauteuil; il la regardait avec amour et l'admirait longuement; il lui disait des vers dans une langue qu'elle ne savait pas. Certes, c'est la peut-etre le meilleur moyen de causer avec une femme dont les paroles detonneraient, sans doute, dans l'ardente symphonie que chante sa beaute; mais il est naturel aussi que la femme n'en convienne pas et s'etonne d'etre adoree au meme titre qu'une belle chatte. » Baudelaire n'aima qu'elle et il l'aima exclusivement pour sa beaute, car depuis longtemps, peut-etre depuis toujours, il avait senti qu'il etait seul aupres d'elle, que les hommes sont irrevocablement seuls. Personne ne comprend personne. Nous n'avons d'autre demeure que nous- memes. Tout son dandysme fut fait de ce splendide isolement. Toutefois sa sensibilite etait d'autant plus profonde qu'elle semblait moins apparente. Rien ne la revelait. Il avait l'air froid, quelque peu distant, mais il subjuguait. Ses yeux couleur de tabac d'Espagne, son epaisse chevelure sombre, son elegance, son intelligence, l'enchantement de sa voix chaude et bien timbree, plus encore que son eloquence naturelle qui lui faisait developper des paradoxes avec une magnifique intelligence et on ne saurait dire quel magnetisme personnel qui se degageait de toutes les impressions refoulees au-dedans de lui, le rendaient extremement seduisant. Helas! toutes ces belles qualites ne le servirent point--du moins financierement--il ignorait l'art de monnayer son genie. Ainsi, pratiquement du moins, comme tant d'autres, il se trouva desservi par sa fierte, sa delicatesse, par le meilleur de lui-meme. Baudelaire habitait dans l'ile Saint-Louis, sur le quai d'Anjou, en ce vieil et triste hotel Pimodan plein de souvenirs somptueux et nostalgiques. Il avait choisi la un appartement compose de plusieurs pieces tres hautes de plafond et dont les fenetres s'ouvraient sur le fleuve qui roule ses eaux glauques et indifferentes au milieu de la vie morbide et fievreuse. Les pieces etaient tapissees d'un papier aux larges rayures rouges et noires, couleurs diaboliques, qui s'accordaient avec les draperies d'un lourd damas. Les meubles etaient antiques, voluptueux. De larges fauteuils, de paresseux divans invitaient a la reverie. Aux murs des lithographies et des tableaux signes de son ami Delacroix, pures merveilles presque sans importance alors, mais que se disputeraient aujourd'hui a coups de millions les princes de la finance americaine. Au temps de Baudelaire, c'est-a-dire vers le milieu du dix-neuvieme siecle, l'ile Saint-Louis ressemblait par la paix silencieuse qui regnait a travers ses rues et ses quais a certaines villes de province ou l'on va nu-tete chez le voisin, ou l'on s'attarde a bavarder au seuil des maisons et a y prendre le frais par les beaux soirs d'ete a l'heure ou la nuit tombe. Artistes et ecrivains allaient se dire bonjour sans quitter leur costume d'interieur et flanaient en neglige sur le quai Bourbon et sur le quai d'Anjou, si parfaitement deserts que c'etait une joie d'y regarder couler l'eau et d'y boire la lumiere. Un jour, Baudelaire, coiffe uniquement de sa noire chevelure, prenait un bain de soleil sur le quai d'Anjou, tout en croquant de delicieuses pommes de terre frites qu'il prenait une a une dans un cornet de papier, lorsque vinrent a passer en caleche decouverte de tres grandes dames amies de sa mere, l'ambassadrice, et qui s'amuserent beaucoup a voir ainsi le poete picorer une nourriture aussi democratique. L'une d'elles, une duchesse, fit arreter la voiture et appela Baudelaire. --« C'est donc bien bon, demanda-t-elle ce que vous mangez la? --Goutez, madame, dit le poete en faisant les honneurs de son cornet de pommes de terre frites avec une grace supreme. » Et il les amusa si bien par ce regal inattendu et par sa conversation qu'elles seraient restees la jusqu'a la fin du monde. Quelques jours plus tard, la duchesse rencontrant Baudelaire dans le salon d'une vieille parente a elle, lui demanda si elle n'aurait pas l'occasion de manger encore des pommes de terre frites. --« Non, madame, repondit finement le poete, car elles sont, en effet, tres bonnes, mais seulement la premiere fois qu'on en mange. » Cette petite anecdote racontee par les historiens du poete est devenue classique; mais nous n'avons pu resister au plaisir de la repeter ici. Baudelaire, plus ou moins pauvre, car la fortune laissee par son pere avait ete devoree rapidement, fut toujours plein de delicatesse et doue de cet esprit de finesse fait de belle humeur et d'ironie souriante. Cependant ses embarras d'argent devenus chroniques, aussi bien que son etat maladif, rendirent lamentables les dernieres annees du poete. Frappe de paralysie generale, ayant perdu la memoire des mots, apres une longue agonie, il s'eteignit a quarante-six ans. Sa mere et son ami Charles Asselineau etaient a son chevet. Ses oeuvres lui ont survecu, mais la place d'honneur qu'il meritait par son genie parmi les romantiques ne lui fut vraiment accordee qu'a l'aube de ce siecle. On l'avait tenu jusqu'alors pour un tres habile ciseleur de phrases, le Benvenuto Cellini des vers, mais c'etait presque un incompris, un nevrose. Il commenca, dit-on, par etonner les sots, mais il devait etonner bien davantage les gens d'esprit en laissant a la posterite ce livre immortel: _les Fleurs du Mal._ Henry FRICHET. AU LECTEUR La sottise, l'erreur, le peche, la lesine, Occupent nos esprits et travaillent nos corps, Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine. Nos peches sont tetus, nos repentirs sont laches, Nous nous faisons payer grassement nos aveux, Et nous rentrons gaiment dans le chemin bourbeux, Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismegiste Qui berce longuement notre esprit enchante, Et le riche metal de notre volonte Est tout vaporise par ce savant chimiste. C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent! Aux objets repugnants nous trouvons des appas; Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas, Sans horreur, a travers des tenebres qui puent. Ainsi qu'un debauche pauvre qui baise et mange Le sein martyrise d'une antique catin, Nous volons au passage un plaisir clandestin Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. Serre, fourmillant, comme un million d'helminthes, Dans nos cerveaux ribote un peuple de Demons, Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie, N'ont pas encore brode de leurs plaisants desseins Le canevas banal de nos piteux destins, C'est que notre ame, helas! n'est pas assez hardie. Mais parmi les chacals, les pantheres, les lices, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants Dans la menagerie infame de nos vices, Il en est un plus laid, plus mechant, plus immonde! Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un debris Et dans un baillement avalerait le monde; C'est l'Ennui!--L'oeil charge d'un pleur involontaire, Il reve d'echafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre delicat, --Hypocrite lecteur,--mon semblable,--mon frere! SPLEEN ET IDEAL BENEDICTION Lorsque, par un decret des puissances supremes, Le Poete apparait en ce monde ennuye, Sa mere epouvantee et pleine de blasphemes Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitie: « Ah! que n'ai-je mis bas tout un noeud de viperes, Plutot que de nourrir cette derision! Maudite soit la nuit aux plaisirs ephemeres Ou mon ventre a concu mon expiation! « Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes Pour etre le degout de mon triste mari, Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes, Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri, « Je ferai rejaillir la haine qui m'accable Sur l'instrument maudit de tes mechancetes, Et je tordrai si bien cet arbre miserable, Qu'il ne pourra poussa ses boutons empestes! » Elle ravale ainsi l'ecume de sa haine, Et, ne comprenant pas les desseins eternels, Elle-meme prepare au fond de la Gehenne Les buchers consacres aux crimes maternels. Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange, L'Enfant desherite s'enivre de soleil, Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil. Il joue avec le vent, cause avec le nuage Et s'enivre en chantant du chemin de la croix; Et l'Esprit qui le suit dans son pelerinage Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois. Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte, Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillite, Cherchent a qui saura lui tirer une plainte, Et font sur lui l'essai de leur ferocite. Dans le pain et le vin destines a sa bouche Ils melent de la cendre avec d'impurs crachats; Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche, Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas. Sa femme va criant sur les places publiques: « Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer, Je ferai le metier des idoles antiques, Et comme elles je veux me faire redorer; « Et je me soulerai de nard, d'encens, de myrrhe, De genuflexions, de viandes et de vins, Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire Usurper en riant les hommages divins! « Et, quand je m'ennuirai de ces farces impies, Je poserai sur lui ma frele et forte main; Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies, Sauront jusqu'a son coeur se frayer un chemin. « Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite, J'arracherai ce coeur tout rouge de son sein, Et, pour rassasier ma bete favorite, Je le lui jetterai par terre avec dedain! » Vers le Ciel, ou son oeil voit un trone splendide, Le Poete serein leve ses bras pieux, Et les vastes eclairs de son esprit lucide Lui derobent l'aspect des peuples furieux: « Soyez beni, mon Dieu, qui donnez la souffrance Comme un divin remede a nos impuretes, Et comme la meilleure et la plus pure essence Qui prepare les forts aux saintes voluptes! « Je sais que vous gardez une place au Poete Dans les rangs bienheureux des saintes Legions, Et que vous l'invitez a l'eternelle fete Des Trones, des Vertus, des Dominations. « Je sais que la douleur est la noblesse unique Ou ne mordront jamais la terre et les enfers, Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique Imposer tous les temps et tous les univers. « Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre, Les metaux inconnus, les perles de la mer, Par votre main montes, ne pourraient pas suffire A ce beau diademe eblouissant et clair; « Car il ne sera fait que de pure lumiere, Puisee au foyer saint des rayons primitifs, Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entiere, Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs! » L'ALBATROS Souvent, pour s'amuser, les hommes d'equipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils deposes sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons trainer a cote d'eux. Ce voyageur aile, comme il est gauche et veule! Lui, naguere si beau, qu'il est comique et laid! L'un agace son bec avec un brule-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait! Le Poete est semblable au prince des nuees Qui hante la tempete et se rit de l'archer; Exile sur le sol au milieu des huees, Ses ailes de geant l'empechent de marcher. ELEVATION Au-dessus des etangs, au-dessus des vallees, Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, Par dela le soleil, par dela les ethers, Par dela les confins des spheres etoilees, Mon esprit, tu te meus avec agilite, Et, comme un bon nageur qui se pame dans l'onde, Tu sillonnes gaiment l'immensite profonde Avec une indicible et male volupte. Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides, Va te purifier dans l'air superieur, Et bois, comme une pure et divine liqueur, Le feu clair qui remplit les espaces limpides. Derriere les ennuis et les vastes chagrins Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse, Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse S'elancer vers les champs lumineux et sereins! Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, --Qui plane sur la vie et comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes! LES PHARES Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse, Oreiller de chair fraiche ou l'on ne peut aimer, Mais ou la vie afflue et s'agite sans cesse, Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer; Leonard de Vinci, miroir profond et sombre, Ou des anges charmants, avec un doux souris Tout charge de mystere, apparaissent a l'ombre Des glaciers et des pins qui ferment leur pays; Rembrandt, triste hopital tout rempli de murmures, Et d'un grand crucifix decore seulement, Ou la priere en pleurs s'exhale des ordures, Et d'un rayon d'hiver traverse brusquement; Michel-Ange, lieu vague ou l'on voit des Hercules Se meler a des Christ, et se lever tout droits Des fantomes puissants, qui dans les crepuscules Dechirent leur suaire en etirant leurs doigts; Coleres de boxeur, impudences de faune, Toi qui sus ramasser la beaute des goujats, Grand coeur gonfle d'orgueil, homme debile et jaune, Puget, melancolique empereur des forcats; Watteau, ce carnaval ou bien des coeurs illustres, Comme des papillons, errent en flamboyant, Decors frais et legers eclaires par des lustres Qui versent la folie a ce bal tournoyant; Goya, cauchemar plein de choses inconnues, De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats, De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues, Pour tenter les Demons ajustant bien leurs bas; Delacroix, lac de sang hante des mauvais anges, Ombrage par un bois de sapin toujours vert, Ou, sous un ciel chagrin, des fanfares etranges Passent, comme un soupir etouffe de Weber; Ces maledictions, ces blasphemes, ces plaintes, Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces _Te Deum,_ Sont un echo redit par mille labyrinthes; C'est pour les coeurs mortels un divin opium. C'est un cri repete par mille sentinelles, Un ordre renvoye par mille porte-voix; C'est un phare allume sur mille citadelles, Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois! Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur temoignage Que nous puissions donner de notre dignite Que cet ardent sanglot qui roule d'age en age Et vient mourir au bord de votre eternite! LA MUSE VENALE O Muse de mon coeur, amante des palais, Auras-tu, quand Janvier lachera ses Borees, Durant les noirs ennuis des neigeuses soirees, Un tison pour chauffer tes deux pieds violets? Ranimeras-tu donc tes epaules marbrees Aux nocturnes rayons qui percent les volets? Sentant ta bourse a sec autant que ton palais, Recolteras-tu l'or des voutes azurees? Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir, Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir, Chantes des _Te Deum_ auxquels tu ne crois guere, Ou, saltimbanque a jeun, etaler les appas Et ton rire trempe de pleurs qu'on ne voit pas, Pour faire epanouir la rate du vulgaire. L'ENNEMI Ma jeunesse ne fut qu'un tenebreux orage, Traverse ca et la par de brillants soleils; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voila que j'ai touche l'automne des idees, Et qu'il faut employer la pelle et les rateaux Pour rassembler a neuf les terres inondees, Ou l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je reve Trouveront dans ce sol lave comme une greve Le mystique aliment qui ferait leur vigueur? --O douleur! o douleur! Le Temps mange la vie, Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur Du sang que nous perdons croit et se fortifie! LA VIE ANTERIEURE J'ai longtemps habite sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. Les houles, en roulant les images des cieux, Melaient d'une facon solennelle et mystique Les tout-puissants accords de leur riche musique Aux couleurs du couchant reflete par mes yeux. C'est la que j'ai vecu dans les voluptes calmes, Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs Et des esclaves nus, tout impregnes d'odeurs, Qui me rafraichissaient le front avec des palmes, Et dont l'unique soin etait d'approfondir Le secret douloureux qui me faisait languir. BOHEMIENS EN VOYAGE La tribu prophetique aux prunelles ardentes Hier s'est mise en route, emportant ses petits Sur son dos, ou livrant a leurs fiers appetits Le tresor toujours pret des mamelles pendantes. Les hommes vont a pied sous leurs armes luisantes Le long des chariots ou les leurs sont blottis, Promenant sur le ciel des yeux appesantis Par le morne regret des chimeres absentes. Du fond de son reduit sablonneux, le grillon, Les regardant passer, redouble sa chanson; Cybele, qui les aime, augmente ses verdures, Fait couler le rocher et fleurir le desert Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert L'empire familier des tenebres futures. L'HOMME ET LA MER Homme libre, toujours tu cheriras la mer! La mer est ton miroir; tu contemples ton ame Dans le deroulement infini de sa lame, Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer. Tu te plais a plonger au sein de ton image; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur Se distrait quelquefois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage. Vous etes tous les deux tenebreux et discrets, Homme, nul n'a sonde le fond de tes abimes; O mer, nul ne connait tes richesses intimes, Tant vous etes jaloux de garder vos secrets! Et cependant voila des siecles innombrables Que vous vous combattez sans pitie ni remord, Tellement vous aimez le carnage et la mort, O lutteurs eternels, o freres implacables! DON JUAN AUX ENFERS Quand don Juan descendit vers l'onde souterraine, Et lorsqu'il eut donne son obole a Charon, Un sombre mendiant, l'oeil fier comme Antisthene, D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron. Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes, Des femmes se tordaient sous le noir firmament, Et, comme un grand troupeau de victimes offertes, Derriere lui trainaient un long mugissement. Sganarelle en riant lui reclamait ses gages, Tandis que don Luis avec un doigt tremblant Montrait a tous les morts errant sur les rivages Le fils audacieux qui railla son front blanc. Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire, Pres de l'epoux perfide et qui fui son amant Semblait lui reclamer un supreme sourire Ou brillat la douceur de son premier serment. Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre Se tenait a la barre et coupait le flot noir; Mais le calme heros, courbe sur sa rapiere, Regardait le sillage et ne daignait rien voir. CHATIMENT DE L'ORGUEIL En ces temps merveilleux ou la Theologie Fleurit avec le plus de seve et d'energie, On raconte qu'un jour un docteur des plus grands --Apres avoir force les coeurs indifferents, Les avoir remues dans leurs profondeurs noires; Apres avoir franchi vers les celestes gloires Des chemins singuliers a lui-meme inconnus, Ou les purs Esprits seuls peut-etre etaient venus, --Comme un homme monte trop haut, pris de panique, S'ecria, transporte d'un orgueil satanique: « Jesus, petit Jesus! je t'ai pousse bien haut! Mais, si j'avais voulu t'attaquer au defaut De l'armure, ta honte egalerait ta gloire, Et tu ne serais plus qu'un foetus derisoire! » Immediatement sa raison s'en alla. L'eclat de ce soleil d'un crepe se voila; Tout le chaos roula dans cette intelligence, Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence. Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui. Le silence et la nuit s'installerent en lui, Comme dans un caveau dont la clef est perdue. Des lors il fut semblable aux betes de la rue, Et, quand il s'en allait sans rien voir, a travers Les champs, sans distinguer les etes des hivers, Sale, inutile et laid comme une chose usee, Il faisait des enfants la joie et la risee. LA BEAUTE Je suis belle, o mortels! comme un reve de pierre, Et mon sein, ou chacun s'est meurtri tour a tour, Est fait pour inspirer au poete un amour Eternel et muet ainsi que la matiere. Je trone dans l'azur comme un sphinx incompris; J'unis un coeur de neige a la blancheur des cygnes; Je hais le mouvement qui deplace les lignes, Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. Les poetes, devant mes grandes attitudes. Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments, Consumeront leurs jours en d'austeres etudes; Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants, De purs miroirs qui font toutes choses plus belles: Mes yeux, mes larges yeux aux clartes eternelles! L'IDEAL Ce ne seront jamais ces beautes de vignettes, Produits avaries, nes d'un siecle vaurien, Ces pieds a brodequins, ces doigts a castagnettes, Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien. Je laisse, a Gavarni, poete des chloroses, Soa troupeau gazouillant de beautes d'hopital, Car je ne puis trouver parmi ces pales roses Une fleur qui ressemble a mon rouge ideal. Ce qu'il faut a ce coeur profond comme un abime, C'est vous, Lady Macbeth, ame puissante au crime, Reve d'Eschyle eclos au climat des autans; Ou bien toi, grand Nuit, fille de Michel-Ange, Qui tors paisiblement dans une pose etrange Tes appas faconnes aux bouches des Titans! LE MASQUE STATUE ALLEGORIQUE DANS LE GOUT DE LA RENAISSANCE A ERNEST CHRISTOPHE STATUAIRE Contemplons ce tresor de graces florentines; Dans l'ondulation de ce corps musculeux L'Elegance et la Force abondent, soeurs divines. Cette femme, morceau vraiment miraculeux, Divinement robuste, adorablement mince, Est faite pour troner sur des lits somptueux, Et charmer les loisirs d'un pontife ou d'un prince. --Aussi, vois ce souris fin et voluptueux Ou la Fatuite promene son extase; Ce long regard sournois, langoureux et moqueur; Ce visage mignard, tout encadre de gaze, Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur: « La Volupte m'appelle et l'Amour me couronne! » A cet etre doue de tant de majeste Vois quel charme excitant la gentillesse donne! Approchons, et tournons autour de sa beaute. O blaspheme de l'art! o surprise fatale! La femme au corps divin, promettant le bonheur, Par le haut se termine en monstre bicephale! Mais non! Ce n'est qu'un masque, un decor suborneur, Ce visage eclaire d'une exquise grimace, Et, regarde, voici, crispee atrocement, La veritable tete, et la sincere face Renversee a l'abri de la face qui ment. --Pauvre grande beaute! le magnifique fleuve De tes pleurs aboutit dans mon coeur soucieux; Ton mensonge m'enivre, et mon ame s'abreuve Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux! --Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beaute parfaite Qui mettrait a ses pieds le genre humain vaincu, Quel mal mysterieux ronge son flanc d'athlete? --Elle pleure, insense, parce qu'elle a vecu! Et parce qu'elle vit! Mais ce qu'elle deplore Surtout, ce qui la fait fremir jusqu'aux genoux, C'est que demain, helas! il faudra vivre encore! Demain, apres-demain et toujours!--comme nous! HYMNE A LA BEAUTE Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abime, O Beaute? Ton regard, infernal et divin, Verse confusement le bienfait et le crime, Et l'on peut pour cela te comparer au vin. Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore; Tu repands des parfums comme un soir orageux; Tes baisers sont un filtre et ta bouche une amphore Qui font le heros lache et l'enfant courageux. Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres? Le Destin charme suit tes jupons comme un chien; Tu semes au hasard la joie et les desastres, Et tu gouvernes tout et ne reponds de rien. Tu marches sur des morts. Beaute, dont tu te moques; De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant, Et le Meurtre, parmi tes plus cheres breloques, Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement. L'ephemere ebloui vole vers toi, chandelle, Crepite, flambe et dit: Benissons ce flambeau! L'amoureux pantelant incline sur sa belle A l'air d'un moribond caressant son tombeau. Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe, O Beaute! monstre enorme, effrayant, ingenu! Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte D'un infini que j'aime et n'ai jamais connu? De Satan ou de Dieu, qu'importe? Ange ou Sirene, Qu'importe, si tu rends,--fee aux yeux de velours, Rythme, parfum, lueur, o mon unique reine!-- L'univers moins hideux et les instants moins lourds? LA CHEVELURE O toison, moutonnant jusque sur l'encolure! O boucles! O parfum charge de nonchaloir! Extase! Pour peupler ce soir l'alcove obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir. La langoureuse Asie et la brulante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque defunt, Vit dans tes profondeurs, foret aromatique! Comme d'autres esprits voguent sur la musique, Le mien, o mon amour! nage sur ton parfum. J'irai la-bas ou l'arbre et l'homme, pleins de seve, Se pament longuement sous l'ardeur des climats; Fortes tresses, soyez la houle qui m'enleve! Tu contiens, mer d'ebene, un eblouissant reve De voiles, de rameurs, de flammes et de mats: Un port retentissant ou mon ame peut boire A grands flots le parfum, le son et la couleur; Ou les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D'un ciel pur ou fremit l'eternelle chaleur. Je plongerai ma tete amoureuse d'ivresse Dans ce noir ocean ou l'autre est enferme; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, o feconde paresse, Infinis bercements du loisir embaume! Cheveux bleus, pavillon de tenebres tendues, Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond; Sur les bords duvetes de vos meches tordues Je m'enivre ardemment des senteurs confondues De l'huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps! toujours! ma main dans ta criniere lourde Semera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu'a mon, desir tu ne sois jamais sourde! N'es-tu pas l'oasis ou je reve, et la gourde Ou je hume a longs traits le vin du souvenir? Je t'adore a l'egal de la voute nocturne, O vase de tristesse, o grande taciturne, Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis, Et que tu me parais, ornement de mes nuits, Plus ironiquement accumuler les lieues Qui separent mes bras des immensites bleues. Je m'avance a l'attaque, et je grimpe aux assauts, Comme apres un cadavre un choeur de vermisseaux, Et je cheris, o bete implacable et cruelle, Jusqu'a cette froideur par ou tu m'es plus belle! Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle, Femme impure! L'ennui rend ton ame cruelle. Pour exercer tes dents a ce jeu singulier, Il te faut chaque jour un coeur au ratelier. Tes yeux, illumines ainsi que des boutiques Ou des ifs flamboyants dans les fetes publiques, Usent insolemment d'un pouvoir emprunte, Sans connaitre jamais la loi de leur beaute. Machine aveugle et sourde en cruaute feconde! Salutaire instrument, buveur du sang du monde, Comment n'as-tu pas honte, et comment n'as-tu pas Devant tous les miroirs vu palir tes appas? La grandeur de ce mal ou tu te crois savante Ne t'a donc jamais fait reculer d'epouvante, Quand la nature, grande en ses desseins caches, De toi se sert, o femme, o reine des peches, --De toi, vil animal,--pour petrir un genie? O fangeuse grandeur, sublime ignominie! SED NON SATIATA Bizarre deite, brune comme les nuits, Au parfum melange de musc et de havane, OEuvre de quelque obi, le Faust de la savane, Sorciere au flanc d'ebene, enfant des noirs minuits, Je prefere au constance, a l'opium, au nuits, L'elixir de ta bouche ou l'amour se pavane; Quand vers toi mes desirs partent en caravane, Tes yeux sont la citerne ou boivent mes ennuis. Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton ame, O demon sans pitie, verse-moi moins de flamme; Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois, Helas! et je ne puis, Megere libertine, Pour briser ton courage et te mettre aux abois, Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine! Avec ses vetements ondoyants et nacres, Meme quand elle marche, on croirait qu'elle danse, Comme ces longs serpents que les jongleurs sacres Au bout de leurs batons agitent en cadence. Comme le sable morne et l'azur des deserts, Insensibles tous deux a l'humaine souffrance, Comme les longs reseaux de la houle des mers, Elle se developpe avec indifference. Ses yeux polis sont faits de mineraux charmants, Et dans cette nature etrange et symbolique Ou l'ange inviole se mele au sphinx antique, Ou tout n'est qu'or, acier, lumiere et diamants, Resplendit a jamais, comme un astre inutile, La froide majeste de la femme sterile. LE SERPENT QUI DANSE Que j'aime voir, chere indolente, De ton corps si beau, Comme une etoile vacillante, Miroiter la peau! Sur ta chevelure profonde Aux acres parfums, Mer odorante et vagabonde Aux flots bleus et bruns. Comme un navire qui s'eveille Au vent du matin, Mon ame reveuse appareille Pour un ciel lointain. Tes yeux, ou rien ne se revele De doux ni d'amer, Sont deux bijoux froids ou se mele L'or avec le fer. A te voir marcher en cadence, Belle d'abandon, On dirait un serpent qui danse Au bout d'un baton; Sous le fardeau de ta paresse Ta tete d'enfant Se balance avec la mollesse D'un jeune elephant, Et son corps se penche et s'allonge Comme un fin vaisseau Qui roule bord sur bord, et plonge Ses vergues dans l'eau. Comme un flot grossi par la fonte Des glaciers grondants, Quand l'eau de ta bouche remonte Au bord de tes dents, Je crois boire un vin de Boheme, Amer et vainqueur, Un ciel liquide qui parseme D'etoiles mon coeur! UNE CHAROGNE Rappelez-vous l'objet que nous vimes, mon ame, Ce beau matin d'ete si doux: Au detour d'un sentier une charogne infame Sur un lit seme de cailloux, Les jambes en l'air, comme une femme lubrique, Brulante et suant les poisons, Ouvrait d'une facon nonchalante et cynique Son ventre plein d'exhalaisons. Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire a point, Et de rendre au centuple a la grande Nature Tout ce qu'ensemble elle avait joint. Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s'epanouir; La puanteur etait si forte que sur l'herbe Vous crutes vous evanouir. Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, D'ou sortaient de noirs bataillons De larves qui coulaient comme un epais liquide Le long de ces vivants haillons. Tout cela descendait, montait comme une vague, Ou s'elancait en petillant; On eut dit que le corps, enfle d'un souffle vague, Vivait en se multipliant. Et ce monde rendait une etrange musique Comme l'eau courante et le vent, Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van. Les formes s'effacaient et n'etaient plus qu'un reve, Une ebauche lente a venir Sur la toile oubliee, et que l'artiste acheve Seulement par le souvenir. Derriere les rochers une chienne inquiete Nous regardait d'un oeil fache, Epiant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu'elle avait lache. --Et pourtant vous serez semblable a cette ordure, A cette horrible infection, Etoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion! Oui! telle vous serez, o la reine des graces, Apres les derniers sacrements, Quand vous irez sous l'herbe et les floraisons grasses, Moisir parmi les ossements. Alors, o ma beaute, dites a la vermine Qui vous mangera de baisers, Que j'ai garde la forme et l'essence divine De mes amours decomposes! DE PROFUNDIS CLAMAVI J'implore ta pitie. Toi, l'unique que j'aime, Du fond du gouffre obscur ou mon coeur est tombe. C'est un univers morne a l'horizon plombe, Ou nagent dans la nuit l'horreur et le blaspheme; Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois, Et les six autres mois la nuit couvre la terre; C'est un pays plus nu que la terre polaire; Ni betes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois! Or il n'est d'horreur au monde qui surpasse La froide cruaute de ce soleil de glace Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos; Je jalouse le sort des plus vils animaux Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide, Tant l'echeveau du temps lentement se devide! LE VAMPIRE Toi qui, comme un coup de couteau. Dans mon coeur plaintif est entree; Toi qui, forte comme un troupeau De demons, vins, folle et paree, De mon esprit humilie Faire ton lit et ton domaine. --Infame a qui je suis lie Comme le forcat a la chaine, Comme au jeu le joueur tetu, Comme a la bouteille l'ivrogne, Comme aux vermines la charogne, --Maudite, maudite sois-tu! J'ai prie le glaive rapide De conquerir ma liberte, Et j'ai dit au poison perfide De secourir ma lachete. Helas! le poison et le glaive M'ont pris en dedain et m'ont dit: « Tu n'es pas digne qu'on t'enleve A ton esclavage maudit, Imbecile!--de son empire Si nos efforts te delivraient, Tes baisers ressusciteraient Le cadavre de ton vampire! » Une nuit que j'etais pres d'une affreuse Juive, Comme au long d'un cadavre un cadavre etendu, Je me pris a songer pres de ce corps vendu A la triste beaute dont mon desir se prive. Je me representai sa majeste native, Son regard de vigueur et de graces arme, Ses cheveux qui lui font un casque parfume, Et dont le souvenir pour l'amour me ravive. Car j'eusse avec ferveur baise ton noble corps, Et depuis tes pieds frais jusqu'a tes noires tresses Deroule le tresor des profondes caresses, Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans effort Tu pouvais seulement, o reine des cruelles, Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles. REMORDS POSTHUME Lorsque tu dormiras, ma belle tenebreuse, Au fond d'un monument construit en marbre noir, Et lorsque tu n'auras pour alcove et manoir Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse; Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir, Empechera ton coeur de battre et de vouloir, Et tes pieds de courir leur course aventureuse, Le tombeau, confident de mon reve infini, --Car le tombeau toujours comprendra le poete,-- Durant ces longues nuits d'ou le somme est banni, Te dira: « Que vous sert, courtisane imparfaite, De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts? » --Et le ver rongera ta peau comme un remords. LE CHAT Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux: Retiens les griffes de ta patte, Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux, Meles de metal et d'agate. Lorsque mes doigts caressent a loisir Ta tete et ton dos elastique, Et que ma main s'enivre du plaisir De palper ton corps electrique, Je vois ma femme en esprit; son regard, Comme le tien, aimable bete, Profond et froid, coupe et fend comme un dard. Et, des pieds jusques a la tete, Un air subtil, un dangereux parfum Nagent autour de son corps brun. LE BALCON Mere des souvenirs, maitresse des maitresses, O toi, tous mes plaisirs, o toi, tous mes devoirs! Tu te rappelleras la beaute des caresses, La douceur du foyer et le charme des soirs, Mere des souvenirs, maitresse des maitresses! Les soirs illumines par l'ardeur du charbon, Et les soirs au balcon, voiles de vapeurs roses; Que ton sein m'etait doux! que ton coeur m'etait bon! Nous avons dit souvent d'imperissables choses Les soirs illumines par l'ardeur du charbon. Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirees! Que l'espace est profond! que le coeur est puissant! En me penchant vers toi, reine des adorees, Je croyais respirer le parfum de ton sang. Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirees! La nuit s'epaississait ainsi qu'une cloison, Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles Et je buvais ton souffle, o douceur, o poison! Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles, La nuit s'epaississait ainsi qu'une cloison. Je sais l'art d'evoquer les minutes heureuses, Et revis mon passe blotti dans tes genoux. Car a quoi bon chercher tes beautes langoureuses Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si doux? Je sais l'art d'evoquer les minutes heureuses! Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis, Renaitront-ils d'un gouffre interdit a nos sondes, Comme montent au ciel les soleils rajeunis Apres s'etre laces au fond des mers profondes! --O serments! o parfums! o baisers infinis! LE POSSEDE Le soleil s'est couvert d'un crepe. Comme lui, O Lune de ma vie! emmitoufle-toi d'ombre; Dors ou fume a ton gre; sois muette, sois sombre, Et plonge tout entiere au gouffre de l'Ennui; Je t'aime ainsi! Pourtant, si tu veux aujourd'hui, Comme un astre eclipse qui sort de la penombre, Te pavaner aux lieux que la Folie encombre, C'est bien! Charmant poignard, jaillis de ton etui! Allume ta prunelle a la flamme des lustres! Allume le desir dans les regards des rustres! Tout de toi m'est plaisir, morbide ou petulant; Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore; Il n'est pas une fibre en tout mon corps tremblant Qui ne crie: _O mon cher Belzebuth, je t'adore!_ UN FANTOME I LES TENEBRES Dans les caveaux d'insondable tristesse Ou le Destin m'a deja relegue; Ou jamais n'entre un rayon rose et gai; Ou, seul avec la Nuit, maussade hotesse, Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur Condamne a peindre, helas! sur les tenebres; Ou, cuisinier aux appetits funebres, Je fais bouillir et je mange mon coeur, Par instants brille, et s'allonge, et s'etale Un spectre fait de grace et de splendeur: A sa reveuse allure orientale, Quand il atteint sa totale grandeur, Je reconnais ma belle visiteuse: C'est Elle! sombre et pourtant lumineuse. II LE PARFUM Lecteur, as-tu quelquefois respire Avec ivresse et lente gourmandise Ce grain d'encens qui remplit une eglise, Ou d'un sachet le musc invetere? Charme profond, magique, dont nous grise Dans le present le passe restaure! Ainsi l'amant sur un corps adore Du souvenir cueille la fleur exquise. De ses cheveux elastiques et lourds, Vivant sachet, encensoir de l'alcove, Une senteur montait, sauvage et fauve, Et des habits, mousseline ou velours, Tout impregnes de sa jeunesse pure, Se degageait un parfum de fourrure. III LE CADRE Comme un beau cadre ajoute a la peinture, Bien qu'elle soit d'un pinceau tres vante, Je ne sais quoi d'etrange et d'enchante En l'isolant de l'immense nature. Ainsi bijoux, meubles, metaux, dorure, S'adaptaient juste a sa rare beaute; Rien n'offusquait sa parfaite clarte, Et tout semblait lui servir de bordure. Meme on eut dit parfois qu'elle croyait Que tout voulait l'aimer; elle noyait Dans les baisers du satin et du linge Son beau corps nu, plein de frissonnements, Et, lente ou brusque, en tous ses mouvements, Montrait la grace enfantine du singe. IV LE PORTRAIT La Maladie et la Mort font des cendres De tout le feu qui pour nous flamboya. De ces grands yeux si fervents et si tendres, De cette bouche ou mon coeur se noya, De ces baisers puissants comme un dictame, De ces transports plus vifs que des rayons. Que reste-t-il? C'est affreux, o mon ame! Rien qu'un dessin fort pale, aux trois crayons, Qui, comme moi, meurt dans la solitude, Et que le Temps, injurieux vieillard, Chaque jour frotte avec son aile rude... Noir assassin de la Vie et de l'Art, Tu ne tueras jamais dans ma memoire Celle qui fut mon plaisir et ma gloire! Je te donne ces vers afin que, si mon nom Aborde heureusement aux epoques lointaines Et fait rever un soir les cervelles humaines, Vaisseau favorise par un grand aquilon, Ta memoire, pareille aux fables incertaines, Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon, Et par un fraternel et mystique chainon Reste comme pendue a mes rimes hautaines; Etre maudit a qui de l'abime profond Jusqu'au plus haut du ciel rien, hors moi, ne repond; --O toi qui, comme une ombre a la trace ephemere, Foules d'un pied leger et d'un regard serein Les stupides mortels qui t'ont jugee amere, Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain! SEMPER EADEM « D'ou vous vient, disiez-vous, cette tristesse etrange, Montant comme la mer sur le roc noir et nu? » --Quand notre coeur a fait une fois sa vendange, Vivre est un mal! C'est un secret de tous connu, Une douleur tres simple et non mysterieuse, Et, comme votre joie, eclatante pour tous. Cessez donc de chercher, o belle curieuse! Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous! Taisez-vous, ignorante! ame toujours ravie! Bouche au rire enfantin! Plus encore que la Vie, La Mort nous tient souvent par des liens subtils. Laissez, laissez mon coeur s'enivrer d'un _mensonge,_ Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe, Et sommeiller longtemps a l'ombre de vos cils! TOUT ENTIERE Le Demon, dans ma chambre haute, Ce matin est venu me voir, Et, tachant a me prendre en faute, Me dit: « Je voudrais bien savoir, Parmi toutes les belles choses Dont est fait son enchantement, Parmi les objets noirs ou roses Qui composent son corps charmant, Quel est le plus doux. »--O mon ame! Tu repondis a l'Abhorre: « Puisqu'en elle tout est dictame, Rien ne peut etre prefere. Lorsque tout me ravit, j'ignore Si quelque chose me seduit. Elle eblouit comme l'Aurore Et console comme la Nuit; Et l'harmonie est trop exquise, Qui gouverne tout son beau corps, Pour que l'impuissante analyse En note les nombreux accords. O metamorphose mystique De tous mes sens fondus en un! Son haleine fait la musique, Comme sa voix fait le parfum! » Que diras-tu ce soir, pauvre ame solitaire, Que diras-tu, mon coeur, coeur autrefois fletri, A la tres belle, a la tres bonne, a la tres chere, Dont le regard divin t'a soudain refleuri? --Nous mettrons noire orgueil a chanter ses louanges, Rien ne vaut la douceur de son autorite; Sa chair spirituelle a le parfum des Anges, Et son oeil nous revet d'un habit de clarte. Que ce soit dans la nuit et dans la solitude. Que ce soit dans la rue et dans la multitude; Son fantome dans l'air danse comme un flambeau. Parfois il parle et dit: « Je suis belle, et j'ordonne Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau. Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone. » CONFESSION Une fois, une seule, aimable et douce femme, A mon bras votre bras poli S'appuya (sur le fond tenebreux de mon ame Ce souvenir n'est point pali). Il etait tard; ainsi qu'une medaille neuve La pleine lune s'etalait, Et la solennite de la nuit, comme un fleuve, Sur Paris dormant ruisselait. Et le long des maisons, sous les portes cocheres, Des chats passaient furtivement, L'oreille au guet, ou bien, comme des ombres cheres, Nous accompagnaient lentement. Tout a coup, au milieu de l'intimite libre Eclose a la pale clarte, De vous, riche et sonore instrument ou ne vibre Que la radieuse gaite, De vous, claire et joyeuse ainsi qu'une fanfare Dans le matin etincelant, Une note plaintive, une note bizarre S'echappa, tout en chancelant. Comme une enfant chetive, horrible, sombre, immonde Dont sa famille rougirait, Et qu'elle aurait longtemps, pour la cacher au monde, Dans un caveau mise au secret! Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde: « Que rien ici-bas n'est certain, Et que toujours, avec quelque soin qu'il se farde, Se trahit l'egoisme humain; Que c'est un dur metier que d'etre belle femme, Et que c'est le travail banal De la danseuse folle et froide qui se pame Dans un sourire machinal; Que batir sur les coeurs est une chose sotte, Que tout craque, amour et beaute, Jusqu'a ce que l'Oubli les jette dans sa hotte Pour les rendre a l'Eternite! » J'ai souvent evoque cette lune enchantee, Ce silence et cette langueur, Et cette confidence horrible chuchotee Au confessionnal du coeur. LE FLACON Il est de forts parfums pour qui toute matiere Est poreuse. On dirait qu'ils penetrent le verre. En ouvrant un coffret venu de l'orient Dont la serrure grince et rechigne en criant, Ou dans une maison deserte quelque armoire Pleine de l'acre odeur des temps, poudreuse et noire, Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient, D'ou jaillit toute vive une ame qui revient. Mille pensers dormaient, chrysalides funebres, Fremissant doucement dans tes lourdes tenebres, Qui degagent leur aile et prennent leur essor, Teintes d'azur, glaces de rose, lames d'or. Voila le souvenir enivrant qui voltige Dans l'air trouble; les yeux se ferment; le Vertige Saisit l'ame vaincue et la pousse a deux mains Vers un gouffre obscurci de miasmes humains; Il la terrasse au bord d'un gouffre seculaire, Ou, Lazare odorant dechirant son suaire, Se meut dans son reveil le cadavre spectral D'un vieil amour ranci, charmant et sepulcral. Ainsi, quand je serai perdu dans la memoire Des hommes, dans le coin d'une sinistre armoire; Quand on m'aura jete, vieux flacon desole, Decrepit, poudreux, sale, abject, visqueux, fele, Je serai ton cercueil, aimable pestilence! Le temoin de ta force et de ta virulence, Cher poison prepare par les anges! liqueur Qui me ronge, o la vie et la mort de mon coeur! LE POISON Le vin sait revetir le plus sordide bouge D'un luxe miraculeux, Et fait surgir plus d'un portique fabuleux Dans l'or de sa vapeur rouge, Comme un soleil couchant dans un ciel nebuleux. L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes, Allonge l'illimite, Approfondit le temps, creuse la volupte, Et de plaisirs noirs et mornes Remplit l'ame au dela de sa capacite. Tout cela ne vaut pas le poison qui decoule De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs ou mon ame tremble et se voit a l'envers... Mes songes viennent en foule Pour se desalterer a ces gouffres amers. Tout cela ne vaut pas le terrible prodige De ta salive qui mord, Qui plonge dans l'oubli mon ame sans remord, Et, charriant le vertige, La roule defaillante aux rives de la mort! LE CHAT I Dans ma cervelle se promene Ainsi qu'en son appartement, Un beau chat, fort, doux et charmant, Quand il miaule, on l'entend a peine, Tant son timbre est tendre et discret; Mais que sa voix s'apaise ou gronde, Elle est toujours riche et profonde. C'est la son charme et son secret. Cette voix, qui perle et qui filtre Dans mon fond le plus tenebreux, Me remplit comme un vers nombreux Et me rejouit comme un philtre. Elle endort les plus cruels maux Et contient toutes les extases; Pour dire les plus longues phrases, Elle n'a pas besoin de mots. Non, il n'est pas d'archet qui morde Sur mon coeur, parfait instrument, Et fasse plus royalement Chanter sa plus vibrante corde Que ta voix, chat mysterieux, Chat seraphique, chat etrange, En qui tout est, comme un ange, Aussi subtil qu'harmonieux. II De sa fourrure blonde et brune Sort un parfum si doux, qu'un soir J'en fus embaume, pour l'avoir Caressee une fois, rien qu'une. C'est l'esprit familier du lieu; Il juge, il preside, il inspire Toutes choses dans son empire; Peut-etre est-il fee, est-il dieu? Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime Tires comme par un aimant, Se retournent docilement, Et que je regarde en moi-meme, Je vois avec etonnement Le feu de ses prunelles pales, Clairs fanaux, vivantes opales, Qui me contemplent fixement. LE BEAU NAVIRE Je veux te raconter, o molle enchanteresse, Les diverses beautes qui parent ta jeunesse; Je veux te peindre ta beaute Ou l'enfance s'allie a la maturite. Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large, Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Charge de toile, et va roulant Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent. Sur ton cou large et rond, sur tes epaules grasses, Ta tete se pavane avec d'etranges graces; D'un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant. Je veux te raconter, o molle enchanteresse, Les diverses beautes qui parent ta jeunesse; Je veux te peindre ta beaute Ou l'enfance s'allie a la maturite. Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire, Ta gorge triomphante est une belle armoire Dont les panneaux bombes et clairs Comme les boucliers accrochent des eclairs; Boucliers provoquants, armes de pointes roses! Armoire a doux secrets, pleine de bonnes choses, De vins, de parfums, de liqueurs Qui feraient delirer les cerveaux et les coeurs! Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large, Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Charge de toile, et va roulant Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent. Tes nobles jambes sons les volants qu'elles chassent, Tourmentent les desirs obscurs et les agacent Comme deux sorcieres qui font Tourner un philtre noir dans un vase profond. Tes bras qui se joueraient des precoces hercules Sont des boas luisants les solides emules, Faits pour serrer obstinement, Comme pour l'imprimer dans ton coeur, ton amant. Sur ton cou large et rond, sur tes epaules grasses, Ta tete se pavane avec d'etranches graces; D'un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant. L'IRREPARABLE I Pouvons-nous etouffer le vieux, le long Remords, Qui vit, s'agite et se tortille, Et se nourrit de nous comme le ver des morts, Comme du chene la chenille? Pouvons-nous etouffer l'implacable Remords? Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane Noierons-nous ce vieil ennemi, Destructeur et gourmand comme la courtisane, Patient comme la fourmi? Dans quel philtre?--dans quel vin?--dans quelle tisane? Dis-le, belle sorciere, oh! dis, si tu le sais, A cet esprit comble d'angoisse Et pareil au mourant qu'ecrasent les blesses, Que le sabot du cheval froisse, Dis-le, belle sorciere, oh! dis, si tu le sais, A cet agonisant que le loup deja flaire Et que surveille le corbeau, A ce soldat brise, s'il faut qu'il desespere D'avoir sa croix et son tombeau; Ce pauvre agonisant que le loup deja flaire! Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir? Peut-on dechirer des tenebres Plus denses que la poix, sans matin et sans soir, Sans astres, sans eclairs funebres? Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir? L'Esperance qui brille aux carreaux de l'Auberge Est souillee, est morte a jamais! Sans lune et sans rayons trouver ou l'on heberge Les martyrs d'un chemin mauvais! Le Diable a tout eteint aux carreaux de l'Auberge! Adorable sorciere, aimes-tu les damnes! Dis, connais-tu l'irremissible? Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnes, A qui notre coeur sert de cible? Adorable sorciere, aimes-tu les damnes? L'irreparable ronge avec sa dent maudite Notre ame, piteux monument, Et souvent il attaque, ainsi que le termite, Par la base le batiment. L'irreparable ronge avec sa dent maudite! II J'ai vu parfois, au fond d'un theatre banal Qu'enflammait l'orchestre sonore, Une fee allumer dans un ciel infernal Une miraculeuse aurore; J'ai vu parfois au fond d'un theatre banal Un etre qui n'etait que lumiere, or et gaze, Terrasser l'enorme Satan Mais mon coeur, que jamais ne visite l'extase Est un theatre ou l'on attend Toujours, toujours en vain, l'Etre aux ailes de gaze! CAUSERIE Vous etes un beau ciel d'automne, clair et rose! Mais la tristesse en moi monte comme la mer, Et laisse, en refluant, sur ma levre morose Le souvenir cuisant de son limon amer. --Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pame; Ce qu'elle cherche, amie, est un lieu saccage Par la griffe et la dent feroce de la femme. Ne cherchez plus mon coeur; les betes l'ont mange. Mon coeur est un palais fletri par la cohue; On s'y soule, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux. --Un parfum nage autour de votre gorge nue!... O Beaute, dur fleau des ames! tu le veux! Avec tes yeux de feu, brillants comme des fetes! Calcine ces lambeaux qu'ont epargnes les betes! CHANT D'AUTOMNE I Bientot nous plongerons dans les froides tenebres; Adieu, vive clarte de nos etes trop courts! J'entends deja tomber avec des chocs funebres Le bois retentissant sur le pave des cours. Tout l'hiver va rentrer dans mon etre: colere, Haine, frissons, horreur, labeur dur et force, Et, comme le soleil dans son enfer polaire. Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glace. J'ecoute en fremissant chaque buche qui tombe; L'echafaud qu'on batit n'a pas d'echo plus sourd. Mon esprit est pareil a la tour qui succombe Sous les coups du belier infatigable et lourd. Il me semble, berce par ce choc monotone, Qu'on cloue en grande hate un cercueil quelque part... Pour qui?--C'etait hier l'ete; voici l'automne! Ce bruit mysterieux sonne comme un depart. II J'aime de vos longs yeux la lumiere verdatre, Douce beaute, mais tout aujourd'hui m'est amer, Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'atre, Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer. Et pourtant aimez-moi, tendre coeur! soyez mere Meme pour un ingrat, meme pour un mechant; Amante ou soeur, soyez la douceur ephemere D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant. Courte tache! La tombe attend; elle est avide! Ah! laissez-moi, mon front pose sur vos genoux, Gouter, en regrettant l'ete blanc et torride, De l'arriere-saison le rayon jaune et doux! CHANSON D'APRES-MIDI Quoique tes sourcils mechants Te donnent un air etrange Qui n'est pas celui d'un ange, Sorciere aux yeux allechants, Je t'adore, o ma frivole, Ma terrible passion! Avec la devotion Du pretre pour son idole. Le desert et la foret Embaument tes tresses rudes, Ta tete a les attitudes De l'enigme et du secret. Sur ta chair le parfum rode Comme autour d'un encensoir; Tu charmes comme le soir, Nymphe tenebreuse et chaude. Ah! les philtres les plus forts Ne valent pas ta paresse, Et tu connais la caresse Qui fait revivre les morts! Tes hanches sont amoureuses De ton dos et de tes seins, Et tu ravis les coussins Par tes poses langoureuses. Quelquefois pour apaiser Ta rage mysterieuse, Tu prodigues, serieuse, La morsure et le baiser; Tu me dechires, ma brune, Avec un rire moqueur, Et puis tu mets sur mon coeur Ton oeil doux comme la lune. Sous tes souliers de satin, Sous tes charmants pieds de soie, Moi, je mets ma grande joie, Mon genie et mon destin, Mon ame par toi guerie, Par toi, lumiere et couleur! Explosion de chaleur Dans ma noire Siberie! SISINA Imaginez Diane en galant equipage, Parcourant les forets ou battant les halliers, Cheveux et gorge au vent, s'enivrant de tapage, Superbe et defiant les meilleurs cavaliers! Avez-vous vu Theroigne, amante du carnage, Excitant a l'assaut un peuple sans souliers, La joue et l'oeil en feu, jouant son personnage, Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers? Telle la Sisina! Mais la douce guerriere A l'ame charitable autant que meurtriere, Son courage, affole de poudre et de tambours, Devant les suppliants sait mettre bas les armes, Et son coeur, ravage par la flamme, a toujours, Pour qui s'en montre digne, un reservoir de larmes. A UNE DAME CREOLE Au pays parfume que le soleil caresse, J'ai connu sous un dais d'arbres tout empourpres Et de palmiers, d'ou pleut sur les yeux la paresse, Une dame creole aux charmes ignores. Son teint est pale et chaud; la brune enchanteresse A dans le col des airs noblement manieres; Grande et svelte en marchant comme une chasseresse, Son sourire est tranquille et ses yeux assures. Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire, Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire, Belle digne d'orner les antiques manoirs, Vous feriez, a l'abri des ombreuses retraites, Germer mille sonnets dans le coeur des poetes, Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs. LE REVENANT Comme les anges a l'oeil fauve, Je reviendrai dans ton alcove Et vers toi glisserai sans bruit Avec les ombres de la nuit; Et je te donnerai, ma brune, Des baisers froids comme la lune Et des caresses de serpent Autour d'une fosse rampant. Quand viendra le matin livide, Tu trouveras ma place vide, Ou jusqu'au soir il fera froid. Comme d'autres par la tendresse, Sur ta vie et sur ta jeunesse, Moi, je veux regner par l'effroi! SONNET D'AUTOMNE Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal: « Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon merite? » --Sois charmante et tais-toi! Mon coeur, que tout irrite, Excepte la candeur de l'antique animal, Ne veut pas te montrer son secret infernal, Berceuse dont la main aux longs sommeils m'invite, Ni sa noire legende avec la flamme ecrite. Je hais la passion et l'esprit me fait mal! Aimons-nous doucement. L'Amour dans sa guerite, Tenebreux, embusque, bande son arc fatal. Je connais les engins de son vieil arsenal: Crime, horreur et folie!--O pale marguerite! Comme moi n'es-tu pas un soleil automnal, O ma si blanche, o ma si froide Marguerite? TRISTESSE DE LA LUNE Ce soir, la lune reve avec plus de paresse; Ainsi qu'une beaute, sur de nombreux coussins, Qui d'une main distraite et legere caresse, Avant de s'endormir, le contour de ses seins, Sur le dos satine des molles avalanches, Mourante, elle se livre aux longues pamoisons, Et promene ses yeux sur les visions blanches Qui montent dans l'azur comme des floraisons. Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive, Elle laisse filer une larme furtive, Un poete pieux, ennemi du sommeil, Dans le creux de sa main prend cette larme pale, Aux reflets irises comme un fragment d'opale, Et la met dans son coeur loin des yeux du soleil. LES CHATS Les amoureux fervents et les savants austeres Aiment egalement dans leur mure saison, Les chats puissants et doux, orgueil de la maison, Qui comme eux sont frileux et comme eux sedentaires. Amis de la science et de la volupte, Ils cherchent le silence et l'horreur des tenebres; L'Erebe les eut pris pour ses coursiers funebres, S'ils pouvaient au servage incliner leur fierte. Ils prennent en songeant les nobles attitudes Des grands sphinx allonges au fond des solitudes, Qui semblent s'endormir dans un reve sans fin; Leurs reins feconds sont pleins d'etincelles magiques, Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin, Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques. LA PIPE Je suis la pipe d'un auteur; On voit, a contempler ma mine D'Abyssienne ou de Cafrine, Que mon maitre est un grand fumeur. Quand il est comble de douleur, Je fume comme la chaumine Ou se prepare la cuisine Pour le retour du laboureur. J'enlace et je berce son ame Dans le reseau mobile et bleu Qui monte de ma bouche en feu, Et je roule un puissant dictame Qui charme son coeur et guerit De ses fatigues son esprit. LA MUSIQUE La musique souvent me prend comme une mer! Vers ma pale etoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste ether, Je mets a la voile; La poitrine en avant et les poumons gonfles Comme de la toile, J'escalade le dos des flots amonceles Que la nuit me voile; Je sens vibrer en moi toutes les passions D'un vaisseau qui souffre; Le bon vent, la tempete et ses convulsions Sur l'immense gouffre Me bercent.--D'autres fois, calme plat, grand mimoir De mon desespoir! SEPULTURE D'UN POETE MAUDIT Si par une nuit lourde et sombre Un bon chretien, par charite, Derriere quelque vieux decombre Enterre votre corps vante, A l'heure ou les chastes etoiles Ferment leurs yeux appesantis, L'araignee y fera ses toiles, Et la vipere ses petits; Vous entendrez toute l'annee Sur votre tete condamnee Les cris lamentables des loups Et des sorcieres fameliques, Les ebats des vieillards lubriques Et les complots des noirs filous. LE MORT JOYEUX Dans une terre grasse et pleine d'escargots Je veux creuser moi-meme une fosse profonde, Ou je puisse a loisir etaler mes vieux os Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde. Je hais les testaments et je hais les tombeaux; Plutot que d'implorer une larme du monde, Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde. O vers! noirs compagnons sans oreille et sans yeux, Voyez venir a vous un mort libre et joyeux; Philosophes viveurs, fils de la pourriture, A travers ma ruine allez donc sans remords, Et dites-moi s'il est encor quelque torture Pour ce vieux corps sans ame et mort parmi les morts? LA CLOCHE FELEE Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver, D'ecouter pres du feu qui palpite et qui fume Les souvenirs lointains lentement s'elever Au bruit des carillons qui chantent dans la brume. Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux Qui, malgre sa vieillesse, alerte et bien portante, Jette fidelement son cri religieux, Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente! Moi, mon ame est felee, et lorsqu'en ses ennuis Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits, Il arrive souvent que sa voix affaiblie Semble le rale epais d'un blesse qu'on oublie Au bord d'un lac de sang sous un grand tas de morts, Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts. SPLEEN Pluviose, irrite contre la vie entiere, De son urne a grands flots vers un froid tenebreux Aux pales habitants du voisin cimetiere Et la mortalite sur les faubourgs brumeux. Mon chat sur le carreau cherchant une litiere Agite sans repos son corps maigre et galeux; L'ame d'un vieux poete erre dans la gouttiere Avec la triste voix d'un fantome frileux. Le bourdon se lamente, et la buche enfumee Accompagne en fausset la pendule enrhumee, Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums, Heritage fatal d'une vieille hydropique, Le beau valet de coeur et la dame de pique Causent sinistrement de leurs amours defunts. J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. Un gros meuble a tiroirs encombre de bilans, De vers, de billets doux, de proces, de romances, Avec de lourds cheveux roules dans des quittances, Cache moins de secrets que mon triste cerveau. C'est une pyramide, un immense caveau, Qui contient plus de morts que la fosse commune. --Je suis un cimetiere abhorre de la lune, Ou comme des remords se trainent de longs vers Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers. Je suis un vieux boudoir plein de roses fanees, Ou git tout un fouillis de modes surannees, Ou les pastels plaintifs et les pales Boucher, Seuls, respirent l'odeur d'un flacon debouche. Rien n'egale en longueur les boiteuses journees, Quand sous les lourds flocons des neigeuses annees L'ennui, fruit de la morne incuriosite, Prend les proportions de l'immortalite. --Desormais tu n'es plus, o matiere vivante! Qu'un granit entoure d'une vague epouvante, Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux! Un vieux sphinx ignore du monde insoucieux, Oublie sur la carte, et dont l'humeur farouche Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche. Je suis comme le roi d'un pays pluvieux, Riche, mais impuissant, jeune et pourtant tres vieux, Qui, de ses precepteurs meprisant les courbettes, S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres betes. Rien ne peut l'egayer, ni gibier, ni faucon, Ni son peuple mourant en face du balcon, Du bouffon favori la grotesque ballade Ne distrait plus le front de ce cruel malade; Son lit fleurdelise se transforme en tombeau, Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau, Ne savent plus trouver d'impudique toilette Pour tirer un souris de ce jeune squelette. Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu De son etre extirper l'element corrompu, Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent, Il n'a su rechauffer ce cadavre hebete Ou coule au lieu de sang l'eau verte du Lethe. Quand le ciel bas et lourd pese comme un couvercle Sur l'esprit gemissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits; Quand la terre est changee en un cachot humide, Ou l'Esperance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tete a des plafonds pourris; Quand la pluie etalant ses immenses trainees D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infames araignees Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout a coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent a geindre opiniatrement. --Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Defilent lentement dans mon ame; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crane incline plante son drapeau noir. LE GOUT DU NEANT Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte, L'Espoir, dont l'eperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur, Vieux cheval dont le pied a chaque obstacle butte. Resigne-toi, mon coeur; dors ton sommeil de brute. Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur, L'amour n'a plus de gout, non plus que la dispute; Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flute! Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur! Le Printemps adorable a perdu son odeur! Et le Temps m'engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur; Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute! Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur, Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute? ALCHIMIE DE LA DOULEUR L'un t'eclaire avec son ardeur L'autre en toi met son deuil. Naturel Ce qui dit a l'un: Sepulture! Dit a l'autre: Vie et splendeur! Hermes inconnu qui m'assistes Et qui toujours m'intimidas, Tu me rends l'egal de Midas, Le plus triste des alchimistes; Par toi je change l'or en fer Et le paradis en enfer; Dans le suaire des nuages Je decouvre un cadavre cher. Et sur les celestes rivages Je batis de grands sarcophages. LA PRIERE D'UN PAIEN Ah! ne ralentis pas tes flammes; Rechauffe mon coeur engourdi, Volupte, torture des ames! _Diva! supplicem exaudi!_ Deesse dans l'air repandue, Flamme dans notre souterrain! Exauce une ame morfondue, Qui te consacre un chant d'airain. Volupte, sois toujours ma reine! Prends le masque d'une sirene Faite de chair et de velours. Ou verse-moi tes sommeils lourds Dans le vin informe et mystique, Volupte, fantome elastique! LE COUVERCLE En quelque lieu qu'il aille, ou sur mer ou sur terre, Sous un climat de flamme ou sous un soleil blanc, Serviteur de Jesus, courtisan de Cythere, Mendiant tenebreux ou Cresus rutilant, Citadin, campagnard, vagabond, sedentaire, Que son petit cerveau soit actif ou soit lent, Partout l'homme subit la terreur du mystere, Et ne regarde en haut qu'avec un oeil tremblant. En haut, le Ciel! ce mur de caveau qui l'etouffe, Plafond illumine pour un opera bouffe Ou chaque histrion foule un sol ensanglante, Terreur du libertin, espoir du fol ermite; Le Ciel! couvercle noir de la grande marmite Ou bout l'imperceptible et vaste Humanite. L'IMPREVU Harpagon, qui veillait son pere agonisant, Se dit, reveur, devant ces levres deja blanches; « Nous avons au grenier un nombre suffisant, Ce me semble, de vieilles planches? » Celimene roucoule et dit: « Mon coeur est bon, Et naturellement, Dieu m'a faite tres belle. » --Son coeur! coeur racorni, fume comme un jambon, Recuit a la flamme eternelle! Un gazetier fumeux, qui se croit un flambeau, Dit au pauvre, qu'il a noye dans les tenebres: « Ou donc l'apercois-tu, ce createur du Beau, Ce Redresseur que tu celebres? » Mieux que tous, je connais certains voluptueux Qui baille nuit et jour, et se lamente et pleure, Repetant, l'impuissant et le fat: « Oui, je veux Etre vertueux, dans une heure! » L'horloge, a son tour, dit a voix basse: « Il est mur, Le damne! J'avertis en vain la chair infecte. L'homme est aveugle, sourd, fragile, comme un mur Qu'habite et que ronge un insecte! » Et puis, Quelqu'un parait, que tous avaient nie, Et qui leur dit, railleur et fier: « Dans mon ciboire, Vous avez, que je crois, assez communie, A la joyeuse Messe noire? Chacun de vous m'a fait un temple dans son coeur; Vous avez, en secret, baise ma fesse immonde! Reconnaissez Satan a son rire vainqueur, Enorme et laid comme le monde! Avez-vous donc pu croire, hypocrites surpris, Qu'on se moque du maitre, et qu'avec lui l'on triche, Et qu'il soit naturel de recevoir deux prix. D'aller au Ciel et d'etre riche? Il faut que le gibier paye le vieux chasseur Qui se morfond longtemps a l'affut de la proie. Je vais vous emporter a travers l'epaisseur, Compagnons de ma triste joie, A travers l'epaisseur de la terre et du roc, A travers les amas confus de votre cendre, Dans un palais aussi grand que moi, d'un seul bloc, Et qui n'est pas de pierre tendre; Car il fait avec l'universel Peche, Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire! --Cependant, tout en haut de l'univers juche, Un Ange sonne la victoire De ceux dont le coeur dit: « Que beni soit ton fouet, Seigneur! que la douleur, o Pere, soit benie! Mon ame dans tes mains n'est pas un vain jouet, Et ta prudence est infinie. » Le son de la trompette est si delicieux, Dans ces soirs solennels de celestes vendanges, Qu'il s'infiltre comme une extase dans tous ceux Dont elle chante les louanges. L'EXAMEN DE MINUIT La pendule, sonnant minuit, Ironiquement nous engage A nous rappeler quel usage Nous fimes du jour qui s'enfuit: --Aujourd'hui, date fatidique, Vendredi, treize, nous avons, Malgre tout ce que nous savons, Mene le train d'un heretique. Nous avons blaspheme Jesus, Des Dieux le plus incontestable! Comme un parasite a la table De quelque monstrueux Cresus, Nous avons, pour plaire a la brute, Digne vassale des Demons, Insulte ce que nous aimons Et flatte ce qui nous rebute; Contriste, servile bourreau, Le faible qu'a tort on meprise; Salue l'enorme Betise, La Betise au front de taureau; Baise la stupide Matiere Avec grande devotion, Et de la putrefaction Beni la blafarde lumiere. Enfin, nous avons, pour noyer Le vertige dans le delire, Nous, pretre orgueilleux de la Lyre, Dont la gloire est de deployer L'ivresse des choses funebres, Bu sans soif et mange sans faim!... --Vite soufflons la lampe, afin De nous cacher dans les tenebres! MADRIGAL TRISTE Que m'importe que tu sois sage? Sois belle! et sois triste! Les pleurs Ajoutent un charme au visage, Comme le fleuve au paysage; L'orage rajeunit les fleurs. Je t'aime surtout quand la joie S'enfuit de ton front terrasse; Quand ton coeur dans l'horreur se noie; Quand sur ton present se deploie Le nuage affreux du passe. Je t'aime quand ton grand oeil verse Une eau chaude comme le sang; Quand, malgre ma main qui te berce, Ton angoisse, trop lourde, perce Comme un rale d'agonisant. J'aspire, volupte divine! Hymne profond, delicieux! Tous les sanglots de ta poitrine, Et crois que ton coeur s'illumine Des perles que versent tes yeux! Je sais que ton coeur, qui regorge De vieux amours deracines, Flamboie encor comme une forge, Et que tu couves sous ta gorge Un peu de l'orgueil des damnes; Mais tant, ma chere, que tes reves N'auront pas reflete l'Enfer, Et qu'en un cauchemar sans treves, Songeant de poisons et de glaives, Eprise de poudre et de fer, N'ouvrant a chacun qu'avec crainte, Dechiffrant le malheur partout, Te convulsant quand l'heure tinte, Tu n'auras pas senti l'etreinte De l'irresistible Degout, Tu ne pourras, esclave reine Qui ne m'aimes qu'avec effroi, Dans l'horreur de la nuit malsaine Me dire, l'ame de cris pleine: « Je suis ton egale, o mon Roi! » L'AVERTISSEUR Tout homme digne de ce nom A dans le coeur un Serpent jaune, Installe comme sur un trone, Qui, s'il dit: « Je veux! » repond: « Non! » Plonge tes yeux dans les yeux fixes Des Satyresses ou des Nixes, La Dent dit: « Pense a ton devoir! » Fais des enfants, plante des arbres ». Polis des vers, sculpte des marbres, La Dent dit: « Vivras-tu ce soir? » Quoi qu'il ebauche ou qu'il espere, L'homme ne vit pas un moment Sans subir l'avertissement De l'insupportable Vipere. A UNE MALABARAISE Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche Est large a faire envie a la plus belle blanche; A l'artiste pensif ton corps est doux et cher; Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair Aux pays chauds et bleus ou ton Dieu t'a fait naitre, Ta tache est d'allumer la pipe de ton maitre, De pourvoir les flacons d'eaux fraiches et d'odeurs, De chasser loin du lit les moustiques rodeurs, Et, des que le matin fait chanter les platanes, D'acheter au bazar ananas et bananes. Tout le jour, ou tu veux, tu menes tes pieds nus, Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus; Et quand descend le soir au manteau d'ecarlate, Tu poses doucement ton corps sur une natte, Ou tes reves flottants sont pleins de colibris, Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris. Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France, Ce pays trop peuple que fauche la souffrance, Et, confiant ta vie aux bras forts des marins, Faire de grands adieux a tes chers tamarins? Toi, vetue a moitie de mousselines freles, Frissonnante la-bas sous la neige et les greles, Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs, Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs, Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges Et vendre le parfum de tes charmes etranges, L'oeil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards, Des cocotiers absents les fantomes epars! LA VOIX Mon berceau s'adossait a la bibliotheque, Babel sombre, ou roman, science, fabliau, Tout, la cendre latine et la poussiere grecque, Se melaient. J'etais haut comme un in-folio. Deux voix me parlaient. L'une, insidieuse et ferme, Disait: « La Terre est un gateau plein de douceur; Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme!) Te faire un appetit d'une egale grosseur. » Et l'autre: « Viens, oh! viens voyager dans les reves Au dela du possible, au dela du connu! » Et celle-la chantait comme le vent des greves, Fantome vagissant, on ne sait d'ou venu, Qui caresse l'oreille et cependant l'effraie. Je te repondis: « Oui! douce voix! » C'est d'alors Que date ce qu'on peut, helas! nommer ma plaie Et ma fatalite. Derriere les decors De l'existence immense, au plus noir de l'abime, Je vois distinctement des mondes singuliers, Et, de ma clairvoyance extatique victime, Je traine des serpents qui mordent mes souliers. Et c'est depuis ce temps que, pareil aux prophetes, J'aime si tendrement le desert et la mer; Que je ris dans les deuils et pleure dans les fetes, Et trouve un gout suave au vin le plus amer; Que je prends tres souvent les faits pour des mensonges Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous. Mais la Voix me console et dit: « Garde des songes; Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous! ». HYMNE A la tres chere, a la tres belle Qui remplit mon coeur de clarte, A l'ange, a l'idole immortelle, Salut en immortalite! Elle se repand dans ma vie Comme un air impregne de sel, Et dans mon ame inassouvie, Verse le gout de l'eternel. Sachet toujours frais qui parfume L'atmosphere d'un cher reduit, Encensoir oublie qui fume En secret a travers la nuit, Comment, amour incorruptible, T'exprimer avec verite? Grain de musc qui gis, invisible, Au fond de mon eternite! A l'ange, a l'idole immortelle, A la tres bonne, a la tres belle Qui fait ma joie et ma sante, Salut en immortalite! LE REBELLE Un Ange furieux fond du ciel comme un aigle, Du mecreant saisit a plein poing les cheveux, Et dit, le secouant: « Ta connaitras la regle! (Car je suis ton bon Ange, entends-tu?) Je le veux! Sache qu'il faut aimer, sans faire la grimace, Le pauvre, le mechant, le tortu, l'hebete, Pour que tu puisses faire a Jesus, quand il passe, Un tapis triomphal avec ta charite. Tel est l'Amour! Avant que ton coeur ne se blase, A la gloire de Dieu rallume ton extase; C'est la Volupte vraie aux durables appas! » Et l'Ange, chatiant autant, ma foi! qu'il aime, De ses poings de geant torture l'anatheme; Mais le damne repond toujours; « Je ne veux pas! » LE JET D'EAU Tes beaux yeux sont las, pauvre amante! Reste longtemps sans les rouvrir, Dans cette pose nonchalante Ou t'a surprise le plaisir. Dans la cour le jet d'eau qui jase Et ne se tait ni nuit ni jour, Entretient doucement l'extase Ou ce soir m'a plonge l'amour. La gerbe epanouie En mille fleurs, Ou Phoebe rejouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. Ainsi ton ame qu'incendie L'eclair brulant des voluptes S'elance, rapide et hardie, Vers les vastes cieux enchantes. Puis, elle s'epanche, mourante, En un flot de triste langueur, Qui par une invisible pente Descend jusqu'au fond de mon coeur. La gerbe epanouie En mille fleurs, Ou Phoebe rejouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. 0 toi, que la nuit rend si belle, Qu'il m'est doux, penche vers tes seins, D'ecouter la plainte eternelle Qui sanglote dans les bassins! Lune, eau sonore, nuit benie, Arbres qui frissonnez autour, Votre pure melancolie Est le miroir de mon amour. La gerbe epanouie En mille fleurs, Ou Phoebe rejouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. LE COUCHER DU SOLEIL ROMANTIQUE Que le Soleil est beau quand tout frais il se leve, Comme une explosion nous lancant son bonjour! --Bienheureux celui-la qui peut avec amour Saluer son coucher plus glorieux qu'un reve! Je me souviens!... J'ai vu tout, fleur, source, sillon, Se pamer sous son oeil comme un coeur qui palpite,.. --Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite, Pour attraper au moins un oblique rayon! Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire; L'irresistible Nuit etablit son empire, Noire, humide, funeste et pleine de frissons; Une odeur de tombeau dans les tenebres nage, Et mon pied peureux froisse, au bord du marecage, Des crapauds imprevus et de froids limacons. LE GOUFFRE Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant. --Helas! tout est abime,--action, desir, reve, Parole! et sur mon poil qui tout droit se releve Mainte fois de la Peur je sens passer le vent. En haut, en bas, partout, la profondeur, la greve, Le silence, l'espace affreux et captivant... Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant Dessine un cauchemar multiforme et sans treve. J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou, Tout plein de vague horreur, menant on ne sait ou; Je ne vois qu'infini par toutes les fenetres, Et mon esprit, toujours du vertige hante, Jalouse du neant l'insensibilite. --Ah! ne jamais sortir des Nombres et des Etres! LES PLAINTES D'UN ICARE Les amants des prostituees Sont heureux, dispos et repus; Quant a moi, mes bras sont rompus Pour avoir etreint des nuees. C'est grace aux astres non pareils, Qui tout au fond du ciel flamboient, Que mes yeux consumes ne voient Que des souvenirs de soleils. En vain j'ai voulu de l'espace, Trouver la fin et le milieu; Sous je ne sais quel oeil de feu Je sens mon aile qui se casse; Et brule par l'amour du beau, Je n'aurai pas l'honneur sublime De donner mon nom a l'abime Qui me servira de tombeau. RECUEILLEMENT Sois sage, o ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille, Tu reclamais le Soir; il descend; le voici: Une atmosphere obscure enveloppe la ville, Aux uns portant la paix, aux autres le souci. Pendant que des mortels la multitude vile, Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci, Va cueillir des remords dans la fete servile, Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici, Loin d'eux. Vois se pencher les defuntes Annees, Sur les balcons du ciel, en robes surannees; Surgir du fond des eaux le Regret souriant; Le Soleil moribond s'endormir sous une arche, Et, comme un long linceul trainant a l'Orient, Entends, ma chere, entends la douce Nuit qui marche. L'HEAUTONTIMOROUMENOS A. J. G. F. Je te frapperai sans colere Et sans haine,--comme un boucher! Comme Moise le rocher, --Et je ferai de ta paupiere, Pour abreuver mon Sahara, Jaillir les eaux de la souffrance, Mon desir gonfle d'esperance Sur tes pleurs sales nagera Comme un vaisseau qui prend le large, Et dans mon coeur qu'ils souleront Tes chers sanglots retentiront Comme un tambour qui bat la charge! Ne suis-je pas un faux accord Dans la divine symphonie, Grace a la vorace Ironie Qui me secoue et qui me mord? Elle est dans ma voix, la criarde! C'est tout mon sang, ce poison noir! Je suis le sinistre miroir Ou la megere se regarde. Je suis la plaie et le couteau! Je suis le soufflet et la joue! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau! Je suis de mon coeur le vampire, --Un de ces grands abandonnes Au rire eternel condamnes, Et qui ne peuvent plus sourire! L'IRREMEDIABLE I Une Idee, une Forme, un Etre Parti de l'azur et tombe Dans un Styx bourbeux et plombe Ou nul oeil du Ciel ne penetre; Un Ange, imprudent voyageur Qu'a tente l'amour du difforme, Au fond d'un cauchemar enorme Se debattant comme un nageur, Et luttant, angoisses funebres! Contre un gigantesque remous Qui va chantant comme les fous Et pirouettant dans les tenebres; Un malheureux ensorcele Dans ses tatonnements futiles, Pour fuir d'un lieu plein de reptiles, Cherchant la lumiere et la cle; Un damne descendant sans lampe, Au bord d'un gouffre dont l'odeur Trahit l'humide profondeur, D'eternels escaliers sans rampe, Ou veillent des monstres visqueux Dont les larges yeux de phosphore Font une nuit plus noire encore Et ne rendent visibles qu'eux; Un navire pris dans le pole, Comme en un piege de cristal, Cherchant par quel detroit fatal Il est tombe dans cette geole; --Emblemes nets, tableau parfait D'une fortune irremediable, Qui donne a penser que le Diable Fait toujours bien tout ce qu'il fait! II Tete-a-tete sombre et limpide Qu'un coeur devenu son miroir Puits de Verite, clair et noir, Ou tremble une etoile livide, Un phare ironique, infernal, Flambeau des graces sataniques, Soulagement et gloire uniques, --La conscience dans le Mal! L'HORLOGE Horloge dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit: _Souviens-toi!_ Les bivrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi Se planteront bientot comme dans une cible; Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse; Chaque instant te devore un morceau du delice A chaque homme accorde pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote: _Souviens-toi!_--Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit: Je sais Autrefois, Et j'ai pompe ta vie avec ma trompe immonde! _Remember! Souviens-toi!_ prodigue! _Esto memor!_ (Mon gosier de metal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folatre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lacher sans en extraire l'or! _Souviens-toi_ que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, a tout coup! c'est la loi. Le jour decroit; la nuit augmente, _souviens-toi!_ Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide. Tantot sonnera l'heure ou le divin Hasard, Ou l'auguste Vertu, ton epouse encor vierge, Ou le Repentir meme (oh! la derniere auberge!), Ou tout te dira: Meurs, vieux lache! il est trop tard! » TABLEAUX PARISIENS LE SOLEIL Le long du vieux faubourg, ou pendant aux masures Les persiennes, abri des secretes luxures, Quand le soleil cruel frappe a traits redoubles Sur la ville et les champs, sur les toits et les bles. Je vais m'exercer seul a ma fantasque escrime, Flairant dans tous les coins les hasards de la rime. Trebuchant sur les mots comme sur les paves, Heurtant parfois des vers depuis longtemps reves. Ce pere nourricier, ennemi des chloroses, Eveille dans les champs les vers comme les roses; Il fait s'evaporer les soucis vers le ciel, Et remplit les cerveaux et les ruches de miel. C'est lui qui rajeunit les porteurs de bequilles Et les rend gais et doux comme des jeunes filles, Et commande aux moissons de croitre et de murir Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir! Quand, ainsi qu'un poete, il descend dans les villes, Il ennoblit le sort des choses les plus viles, Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets, Dans tous les hopitaux et dans tous les palais. LA LUNE OFFENSEE O Lune qu'adoraient discretement nos peres, Du haut des pays bleus ou, radieux serail, Les astres vont te suivre en pimpant attirail, Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires, Vois-tu les amoureux sur leurs grabats prosperes, De leur bouche en dormant montrer le frais email? Le poete buter du front sur son travail? Ou sous les gazons secs s'accoupler les viperes? Sous ton domino jaune, et d'un pied clandestin, Vas-tu, comme jadis, du soir jusqu'au matin, Baiser d'Endymion les graces surannees? « --Je vois ta mere, enfant de ce siecle appauvri, Qui vers son miroir penche un lourd amas d'annees, Et platre artistement le sein qui t'a nourri! » A UNE MENDIANTE ROUSSE Blanche fille aux cheveux roux, Dont ta robe par ses trous Laisse voir la pauvrete Et la beaute, Pour moi, poete chetif, Ton jeune corps maladif Plein de taches de rousseur A sa douceur. Tu portes plus galamment Qu'une reine de roman Ses cothurnes de velours Tes sabots lourds. Au lieu d'un haillon trop court, Qu'un superbe habit de cour Traine a plis bruyants et longs Sur tes talons; Et place de bas troues, Que pour les yeux des roues Sur ta jambe un poignard d'or Reluise encor; Que des noeuds mal attaches Devoilent pour nos peches Tes deux beaux seins, radieux Comme des yeux; Que pour te deshabiller Tes bras se fassent prier Et chassent a coups mutins Les doigts lutins; --Perles de la plus belle eau, Sonnets de maitre Belleau Par tes galants mis aux fers Sans cesse offerts, Valetaille de rimeurs Te dediant leurs primeurs Et contemplant ton soulier Sous l'escalier, Maint page epris du hasard, Maint seigneur et maint Ronsard Epieraient pour le deduit Ton frais reduit! Tu compterais dans tes lits Plus de baisers que de lys Et rangerais sous tes lois Plus d'un Valois! --Cependant tu vas gueusant Quelque vieux debris gisant Au seuil de quelque Vefour De carrefour; Tu vas lorgnant en dessous Des bijoux de vingt-neuf sous Dont je ne puis, oh! pardon! Te faire don; Va donc, sans autre ornement, Parfum, perles, diamant, Que ta maigre nudite, O ma beaute! LE CYGNE A VICTOR HUGO I Andromaque, je pense a vous!--Ce petit fleuve, Pauvre et triste miroir ou jadis resplendit L'immense majeste de vos douleurs de veuve, Ce Simois menteur qui par vos pleurs grandit, A feconde soudain ma memoire fertile, Comme je traversais le nouveau Carrousel. --Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville Change plus vite, helas! que le coeur d'un mortel); Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques, Ces tas de chapiteaux ebauches et de futs, Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flasques Et, brillant aux carreaux, le bric-a-brac confus. La s'etalait jadis une menagerie; La je vis, un matin, a l'heure ou sous les cieux Clairs et froids le Travail s'eveille, ou la voirie Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux, Un cygne qui s'etait evade de sa cage, Et, de ses pieds palmes frottant le pave sec, Sur le sol raboteux trainait son grand plumage. Pres d'un ruisseau sans eau la bete ouvrant le bec, Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre, Et disait, le coeur plein de son beau lac natal: « Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu, Je vois ce malheureux, mythe etrange et fatal, foudre? Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide, Vers le ciel ironique et cruellement bleu, Sur son cou convulsif tendant sa tete avide, Comme s'il adressait des reproches a Dieu! II Paris change, mais rien dans ma melancolie N'a bouge! palais neufs, echafaudages, blocs, Vieux faubourgs, tout pour moi devient allegorie, Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs. Aussi devant ce Louvre une image m'opprime: Je pense a mon grand cygne, avec ses gestes fous, Comme les exiles, ridicule et sublime, Et ronge d'un desir sans treve! et puis a vous, Andromaque, des bras d'un grand epoux tombee, Vil betail, sous la main du superbe Pyrrhus, Aupres d'un tombeau vide en extase courbee; Veuve d'Hector, helas! et femme d'Helenus! Je pense a la negresse, amaigrie et phtisique, Pietinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard, Les cocotiers absents de la superbe Afrique Derriere la muraille immense du brouillard; A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve Jamais! jamais! a ceux qui s'abreuvent de pleurs Et tettent la Douleur comme une bonne louve! Aux maigres orphelins sechant comme des fleurs! Ainsi dans la foret ou mon esprit s'exile Un vieux Souvenir sonne a plein souffle du cor! Je pense aux matelots oublies dans une ile, Aux captifs, aux vaincus!... a bien d'autres encor! LES SEPT VIEILLARDS A VICTOR HUGO Fourmillante cite, cite pleine de reves, Ou le spectre en plein jour raccroche le passant! Les mysteres partout coulent comme des seves Dans les canaux etroits du colosse puissant. Un matin, cependant que dans la triste rue Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur, Simulaient les deux quais d'une riviere accrue, Et que, decor semblable a l'ame de l'acteur, Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace, Je suivais, roidissant mes nerfs comme un heros Et discutant avec mon ame deja lasse, Le faubourg secoue par les lourds tombereaux. Tout a coup, un vieillard dont les guenilles jaunes Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux, Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumones, Sans la mechancete qui luisait dans ses yeux, M'apparut. On eut dit sa prunelle trempee Dans le fiel; son regard aiguisait les frimas, Et sa barbe a longs poils, roide comme une epee, Se projetait, pareille a celle de Judas. Il n'etait pas voute, mais casse, son echine Faisant avec sa jambe un parfait angle droit, Si bien que son baton, parachevant sa mine, Lui donnait la tournure et le pas maladroit D'un quadrupede infirme ou d'un juif a trois pattes. Dans la neige et la boue il allait s'empetrant, Comme s'il ecrasait des morts sous ses savates, Hostile a l'univers plutot qu'indifferent. Son pareil le suivait: barbe, oeil, dos, baton, loques, Nul trait ne distinguait, du meme enfer venu, Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques Marchaient du meme pas vers un but inconnu. A quel complot infame etais-je donc en butte, Ou quel mechant hasard ainsi m'humiliait? Car je comptai sept fois, de minute en minute, Ce sinistre vieillard qui se multipliait! Que celui-la qui rit de mon inquietude, Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel Songe bien que malgre tant de decrepitude Ces sept monstres hideux avaient l'air eternel! Aurais-je, sans mourir, contemple le huitieme, Sosie inexorable, ironique et fatal, Degoutant Phenix, fils et pere de lui-meme? --Mais je tournai le dos au cortege infernal. Exaspere comme un ivrogne qui voit double, Je rentrai, je fermai ma porte, epouvante, Malade et morfondu, l'esprit fievreux et trouble, Blesse par le mystere et par l'absurdite! Vainement ma raison voulait prendre la barre; La tempete en jouant deroutait ses efforts, Et mon ame dansait, dansait, vieille gabarre Sans mats, sur une mer monstrueuse et sans bords! LES PETITES VIEILLES A VICTOR HUGO I Dans les plis sinueux des vieilles capitales, Ou tout, meme l'horreur, tourne aux enchantements, Je guette, obeissant a mes humeurs fatales, Des etres singuliers, decrepits et charmants. Ces monstres disloques furent jadis des femmes, Eponine ou Lais!--Monstres brises, bossus Ou tordus, aimons-les! ce sont encor des ames. Sous des jupons troues et sous de froids tissus Ils rampent, flagelles par les bises iniques, Fremissant au fracas roulant des omnibus, Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques, Un petit sac brode de fleurs ou de rebus; Ils trottent, tout pareils a des marionnettes; Se trainent, comme font les animaux blesses, Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes Ou se pend un Demon sans pitie! Tout casses Qu'ils sont, ils ont des yeux percants comme une vrille, Luisants comme ces trous ou l'eau dort dans la nuit; Ils ont les yeux divins de la petite fille Qui s'etonne et qui rit a tout ce qui reluit. --Avez-vous observe que maints cercueils de vieilles Sont presque aussi petits que celui d'un enfant? La Mort savante met dans ces bieres pareilles Un symbole d'un gout bizarre et captivant, Et lorsque j'entrevois un fantome debile Traversant de Paris le fourmillant tableau, Il me semble toujours que cet etre fragile S'en va tout doucement vers un nouveau berceau; A moins que, meditant sur la geometrie, Je ne cherche, a l'aspect de ces membres discords, Combien de fois il faut que l'ouvrier varie La forme de la boite ou l'on met tous ces corps. --Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes, Des creusets qu'un metal refroidi pailleta... Ces yeux mysterieux ont d'invincibles charmes Pour celui que l'austere Infortune allaita! II De l'ancien Frascati Vestale enamouree; Pretresse de Thalie, helas! dont le souffleur Defunt, seul, sait le nom; celebre evaporee Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur, Toutes m'enivrent! mais parmi ces etres freles Il en est qui, faisant de la douleur un miel, Ont dit au Devouement qui leur pretait ses ailes: « Hippogriffe puissant, mene-moi jusqu'au ciel! » L'une, par sa patrie au malheur exercee, L'autre, que son epoux surchargea de douleurs, L'autre, par son enfant Madone transpercee, Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs! III Ah! que j'en ai suivi, de ces petites vieilles! Une, entre autres, a l'heure ou le soleil tombant Ensanglante le ciel de blessures vermeilles, Pensive, s'asseyait a l'ecart sur un banc, Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre, Dont les soldats parfois inondent nos jardins, Et qui, dans ces soirs dor ou l'on se sent revivre, Versent quelque heroisme au coeur des citadins. Celle-la droite encor, fiere et sentant la regle, Humait avidement ce chant vif et guerrier; Son oeil parfois s'ouvrait comme l'oeil d'un vieil aigle; Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier! IV Telles vous cheminez, stoiques et sans plaintes, A travers le chaos des vivantes cites, Meres au coeur saignant, courtisanes ou saintes, Dont autrefois les noms par tous etaient cites. Vous qui futes la grace ou qui futes la gloire, Nul ne vous reconnait! un ivrogne incivil Vous insulte en passant d'un amour derisoire; Sur vos talons gambade un enfant lache et vil. Honteuses d'exister, ombres ratatinees, Peureuses, le dos bas, vous cotoyer les murs, Et nul ne vous salue, etranges destinees! Debris d'humanite pour l'eternite murs! Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille, L'oeil inquiet, fixe sur vos pas incertains, Tout comme si j'etais votre pere, o merveille! Je goute a votre insu des plaisirs clandestins: Je vois s'epanouir vos passions novices; Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus; Mon coeur multiplie jouit de tous vos vices! Mon ame resplendit de toutes vos vertus! Ruines! ma famille! o cerveaux congeneres! Je vous fais chaque soir un solennel adieu! Ou serez-vous demain, Eves octogenaires, Sur qui pese la griffe effroyable de Dieu? A UNE PASSANTE La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d'une main fastueuse Soulevant, balancant le feston et l'ourlet; Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispe comme un extravagant, Dans son oeil, ciel livide ou germe l'ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. Un eclair... puis la nuit!--Fugitive beaute Dont le regard m'a fait soudainement renaitre, Ne te verrai-je plus que dans l'eternite? Ailleurs, bien loin d'ici! trop tard! _jamais_ peut-etre! Car j'ignore ou tu fuis, tu ne sais ou je vais, O toi que j'eusse aimee, o toi qui le savais! LE CREPUSCULE DU SOIR Voici le soir charmant, ami du criminel; Il vient comme un complice, a pas de loup; le ciel Se ferme lentement comme une grande alcove, Et l'homme impatient se change en bete fauve. O soir, aimable soir, desire par celui Dont les bras, sans mentir, peuvent dire: Aujourd'hui Nous avons travaille!--C'est le soir qui soulage Les esprits que devore une douleur sauvage, Le savant obstine dont le front s'alourdit, Et l'ouvrier courbe qui regagne son lit. Cependant des demons malsains dans l'atmosphere S'eveillent lourdement, comme des gens d'affaire, Et cognent en volant les volets et l'auvent. A travers les lueurs que tourmente le vent La Prostitution s'allume dans les rues; Comme une fourmiliere elle ouvre ses issues; Partout elle se fraye un occulte chemin, Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main; Elle remue au sein de la cite de fange Comme un ver qui derobe a l'Homme ce qu'il mange. On entend ca et la les cuisines siffler, Les theatres glapir, les orchestres ronfler; Les tables d'hote, dont le jeu fait les delices, S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices, Et les voleurs, qui n'ont ni treve ni merci, Vont bientot commencer leur travail, eux aussi, Et forcer doucement les portes et les caisses Pour vivre quelques jours et vetir leurs maitresses. Recueille-toi, mon ame, en ce grave moment, Et ferme ton oreille a ce rugissement. C'est l'heure ou les douleurs des malades s'aigrissent! La sombre Nuit les prend a la gorge; ils finissent Leur destinee et vont vers le gouffre commun; L'hopital se remplit de leurs soupirs.--Plus d'un Ne viendra plus chercher la soupe parfumee, Au coin du feu, le soir, aupres d'une ame aimee. Encore la plupart n'ont-ils jamais connu La douceur du foyer et n'ont jamais vecu! LE JEU Dans des fauteuils fanes des courtisanes vieilles, Pales, le sourcil peint, l'oeil calin et fatal, Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles Tomber un cliquetis de pierre et de metal; Autour des verts tapis des visages sans levre, Des levres sans couleur, des machoires sans dent, Et des doigts convulses d'une infernale fievre, Fouillant la poche vide ou le sein palpitant; Sous de sales plafonds un rang de pales lustres Et d'enormes quinquets projetant leurs lueurs Sur des fronts tenebreux de poetes illustres Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs: --Voila le noir tableau qu'en un reve nocturne Je vis se derouler sous mon oeil clairvoyant, Moi-meme, dans un coin de l'antre taciturne, Je me vis accoude, froid, muet, enviant, Enviant de ces gens la passion tenace, De ces vieilles putains la funebre gaite, Et tous gaillardement trafiquant a ma face, L'un de son vieil honneur, l'autre de sa beaute! Et mon coeur s'effraya d'envier maint pauvre homme Courant avec ferveur a l'abime beant, Et qui, soul de son sang, prefererait en somme La douleur a la mort et l'enfer au neant! DANSE MACABRE A ERNEST CHRISTOPHE Fiere, autant qu'un vivant, de sa noble stature, Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants, Elle a la nonchalance et la desinvolture D'une coquette maigre aux airs extravagants. Vit-on jamais au bal une taille plus mince? Sa robe exageree, en sa royale ampleur, S'ecroule abondamment sur un pied sec que pince Un soulier pomponne, joli comme une fleur. La ruche qui se joue au bord des clavicules, Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher, Defend pudiquement des lazzi ridicules Les funebres appas qu'elle tient a cacher. Ses yeux profonds sont faits de vide et de tenebres Et son crane, de fleurs artistement coiffe, Oscille mollement sur ses freles vertebres. --O charme d'un neant follement attife! Aucuns t'appelleront une caricature, Qui ne comprennent pas, amants ivres de chair, L'elegance sans nom de l'humaine armature. Tu reponds, grand squelette, a mon gout le plus cher! Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace, La fete de la Vie? ou quelque vieux desir, Eperonnant encor ta vivante carcasse, Te pousse-t-il, credule, au sabbat du Plaisir? Au chant des violons, aux flammes des bougies, Esperes-tu chasser ton cauchemar moqueur, Et viens-tu demander au torrent des orgies De refraichir l'enfer allume dans ton coeur? Inepuisable puits de sottise et de fautes! De l'antique douleur eternel alambic! A travers le treillis recourbe de tes cotes Je vois, errant encor, l'insatiable aspic. Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie Ne trouve pas un prix digne de ses efforts: Qui, de ces coeurs mortels, entend la raillerie? Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts. Le gouffre de tes yeux, plein d'horribles pensees, Exalte le vertige, et les danseurs prudents Ne contempleront pas sans d'ameres nausees Le sourire eternel de tes trente-deux dents. Pourtant, qui n'a serre dans ses bras un squelette, Et qui ne s'est nourri des choses du tombeau? Qu'importe le parfum, l'habit ou la toilette? Qui fait le degoute montre qu'il se croit beau. Bayadere sans nez, irresistible gouge, Dis donc a ces danseurs qui font les offusques: « Fiers mignons, malgre l'art des poudres et du rouge, Vous sentez tous la mort! O squelettes musques, Antinous fletris, dandys a face glabre, Cadavres vernisses, lovelaces chenus, Le branle universel de la danse macabre Vous entraine en des lieux qui ne sont pas connus! Des quais froids de la Seine aux bords brulants du Gange, Le troupeau mortel saute et se pame, sans voir Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange Sinistrement beante ainsi qu'un tromblon noir. En tout climat, sous ton soleil, la Mort t'admire En tes contorsions, risible Humanite, Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe, Mele son ironie a ton insanite! » L'AMOUR DU MENSONGE Quand je te vois passer, o ma chere indolente, Au chant des instruments qui se brise au plafond, Suspendant ton allure harmonieuse et lente, Et promenant l'ennui de ton regard profond; Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore, Ton front pale, embelli par un morbide attrait, Ou les torches du soir allument une aurore, Et tes yeux attirants comme ceux d'un portrait, Je me dis: Qu'elle est belle! et bizarrement fraiche! Le souvenir massif, royale et lourde tour, La couronne, et son coeur, meurtri comme une peche, Est mur, comme son corps, pour le savant amour. Es-tu le fruit d'automne aux saveurs souveraines? Es-tu vase funebre attendant quelques pleurs, Parfum qui fait rever aux oasis lointaines, Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs? Je sais qu'il est des yeux, des plus melancoliques, Qui ne recelent point de secrets precieux; Beaux ecrins sans joyaux, medaillons sans reliques, Plus vides, plus profonds que vous-memes, o Cieux! Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence, Pour rejouir un coeur qui fuit la verite? Qu'importe ta betise ou ton indifference? Masque ou decor, salut! J'adore ta beaute. Je n'ai pas oublie, voisine de la ville, Notre blanche maison, petite mais tranquille, Sa Pomone de platre et sa vieille Venus Dans un bosquet chetif cachant leurs membres nus; Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe, Qui, derriere la vitre ou se brisait sa gerbe, Semblait, grand oeil ouvert dans le ciel curieux, Contempler nos diners longs et silencieux, Repandant largement ses beaux reflets de cierge Sur la nappe frugale et les rideaux de serge. La servante au grand coeur dont vous etiez jalouse, Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse, Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs. Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs, Et quand Octobre souffle, emondeur des vieux arbres, Son vent melancolique a, l'entour de leurs marbres, Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats, De dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps, Tandis que, devores de noires songeries, Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries, Vieux squelettes geles travailles par le ver, Ils sentent s'egoutter les neiges de l'hiver Et le siecle couler, sans qu'amis ni famille Remplacent les lambeaux qui pendent a leur grille. Lorsque la buche siffle et chante, si le soir, Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir, Si, par une nuit bleue et froide de decembre, Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre, Grave, et venant du fond de son lit eternel Couver l'enfant grandi de son oeil maternel, Que pourrais-je repondre a cette ame pieuse Voyant tomber des pleurs de sa paupiere creuse? BRUMES ET PLUIES O fins d'automne, hivers, printemps trempes de boue, Endormeuses saisons! je vous aime et vous loue D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau. Dans cette grande plaine ou l'autan froid se joue, Ou par les longues nuits la girouette s'enroue, Mon ame mieux qu'au temps du tiede renouveau Ouvrira largement ses ailes de corbeau. Rien n'est plus doux au coeur plein de choses funebres, Et sur qui des longtemps descendent les frimas, O blafardes saisons, reines de nos climats! Que l'aspect permanent de vos pales tenebres, --Si ce n'est par un soir sans lune, deux a deux, D'endormir la douleur sur un lit hasardeux. LE VIN L'AME DU VIN Un soir, l'ame du vin chantait dans les bouteilles: « Homme, vers toi je pousse, o cher desherite, Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de lumiere et de fraternite! Je sais combien il faut, sur la colline en flamme, De peine, de sueur et de soleil cuisant Pour engendrer ma vie et pour me donner l'ame; Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant, Car j'eprouve une joie immense quand je tombe Dans le gosier d'un homme use par ses travaux, Et sa chaude poitrine est une douce tombe Ou je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux. Entends-tu retentir les refrains des dimanches Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant? Les coudes sur la table et retroussant tes manches, Tu me glorifieras et tu seras content: J'allumerai les yeux de ta femme ravie; A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs Et serai pour ce frele athlete de la vie L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs. En toi je tomberai, vegetale ambroisie, Grain precieux jete par l'eternel Semeur, Pour que de notre amour naisse la poesie Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur! » LE VIN DES CHIFFONNIERS Souvent, a la clarte rouge d'un reverbere Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre. Au coeur d'un vieux faubourg, labyrinthe fangeux, Ou l'humanite grouille en ferments orageux, On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tete, Buttant, et se cognant aux murs comme un poete, Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets, Epanche tout son coeur en glorieux projets. Il prete des serments, dicte des lois sublimes, Terrasse les mechants, releve les victimes, Et sous le firmament comme un dais suspendu S'enivre des splendeurs de sa propre vertu. Oui, ces gens harceles de chagrins de menage, Moulus par le travail et tourmentes par l'age, Ereintes et pliant sous un tas de debris, Vomissement confus de l'enorme Paris, Reviennent, parfumes d'une odeur de futailles, Suivis de compagnons blanchis dans les batailles, Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux! Les bannieres, les fleurs et les arcs triomphaux Se dressent devant eux, solennelle magie! Et dans l'etourdissante et lumineuse orgie Des clairons, du soleil, des cris et du tambour, Ils apportent la gloire au peuple ivre d'amour! C'est ainsi qu'a travers l'Humanite frivole Le vin roule de l'or, eblouissant Pactole; Par le gosier de l'homme il chante ses exploits Et regne par ses dons ainsi que les vrais rois. Pour noyer la rancoeur et bercer l'indolence De tous ces vieux maudits qui meurent en silence, Dieu, touche de remords, avait fait le sommeil; L'Homme ajouta le Vin, fils sacre du Soleil! LE VIN DE L'ASSASSIN Ma femme est morte, je suis libre! Je puis donc boire tout mon soul. Lorsque je rentrais sans un sou, Ses cris me dechiraient la fibre. Autant qu'un roi je suis heureux; L'air est pur, le ciel admirable... --Nous avions un ete semblable Lorsque je devins amoureux! --L'horrible soif qui me dechire Aurait besoin pour s'assouvir D'autant de vin qu'en peut tenir Son tombeau;--ce n'est pas peu dire Je l'ai jetee au fond d'un puits, Et j'ai meme pousse sur elle Tous les paves de la margelle. --Je l'oublierai si je le puis! Au nom des serments de tendresse, Dont rien ne peut nous delier, Et pour nous reconcilier Comme au beau temps de notre ivresse, J'implorai d'elle un rendez-vous, Le soir, sur une route obscure, Elle y vint! folle creature! --Nous sommes tous plus ou moins fous! Elle etait encore jolie, Quoique bien fatiguee! et moi, Je l'aimai trop;--voila pourquoi Je lui dis: sors de cette vie! Nul ne peut me comprendre. Un seul Parmi ces ivrognes stupides Songea-t-il dans ses nuits morbides A faire du vin un linceul? Cette crapule invulnerable Comme les machines de fer, Jamais, ni l'ete ni l'hiver, N'a connu l'amour veritable, Avec ses noirs enchantements, Son cortege infernal d'alarmes, Ses fioles de poison, ses larmes, Ses bruits de chaine et d'ossements! --Me voila libre et solitaire! Je serai ce soir ivre-mort; Alors, sans peur et sans remord, Je me coucherai sur la terre, Et je dormirai comme un chien. Le chariot aux lourdes roues Charge de pierres et de boues, Le wagon enraye peut bien Ecraser ma tete coupable, Ou me couper par le milieu, Je m'en moque comme de Dieu, Du Diable ou de la Sainte Table! LE VIN DU SOLITAIRE Le regard singulier d'une femme galante Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant, Quand elle y veux baigner sa beaute nonchalante, Le dernier sac d'ecus dans les doigts d'un joueur, Un baiser libertin de la maigre Adeline, Les sons d'une musique enervante et caline, Semblable au cri lointain de l'humaine douleur, Tout cela ne vaut pas, o bouteille profonde, Les baumes penetrants que ta panse feconde Garde au coeur altere du poete pieux; Tu lui verses l'espoir, la jeunesse et la vie, --Et l'orgueil, ce tresor de toute gueuserie, Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux. LE VIN DES AMANTS Aujourd'hui l'espace est splendide! Sans mors, sans eperons, sans bride, Partons a cheval sur le vin Pour un ciel feerique et divin! Comme deux anges que torture Une implacable calenture, Dans le bleu cristal du matin Suivons le mirage lointain! Mollement balances sur l'aile Du tourbillon intelligent, Dans un delire parallele, Ma soeur, cote a cote nageant, Nous fuirons sans repos ni treves Vers le paradis de mes reves! UNE MARTYRE DESSIN D'UN MAITRE INCONNU Au milieu des flacons, des etoffes lamees Et des meubles voluptueux, Des marbres, des tableaux, des robes parfumees Qui trament a plis sompteux, Dans une chambre tiede ou, comme en une serre, L'air est dangereux et fatal, Ou des bouquets mourants dans leurs cercueils de verre, Exhalent leur soupir final, Un cadavre sans tete epanche, comme un fleuve, Sur l'oreiller desaltere Un sang rouge et vivant, dont la toile s'abreuve Avec l'avidite d'un pre. Semblable aux visions pales qu'enfante l'ombre Et qui nous enchainent les yeux, La tete, avec l'amas de sa criniere sombre Et de ses bijoux precieux, Sur la table de nuit, comme une renoncule, Repose, et, vide de pensers, Un regard vague et blanc comme le crepuscule S'echappe des yeux revulses. Sur le lit, le tronc nu sans scrupule etale Dans le plus complet abandon La secrete splendeur et la beaute fatale Dont la nature lui fit don; Un bas rosatre, orne de coins d'or, a la jambe Comme un souvenir est reste; La jarretiere, ainsi qu'un oeil secret qui flambe, Darde un regard diamante. Le singulier aspect de cette solitude Et d'un grand portrait langoureux, Aux yeux provocateurs comme son attitude, Revele un amour tenebreux, Une coupable joie et des fetes etranges Pleines de baisers infernaux. Dont se rejouissait l'essaim de mauvais anges Nageant dans les plis des rideaux; Et cependant, a voir la maigreur elegante De l'epaule au contour heurte, La hanche un peu pointue et la taille fringante Ainsi qu'an reptile irrite, Elle est bien jeune encor!--Son ame exasperee Et ses sens par l'ennui mordus S'etaient-ils entr'ouverts a la meute alteree Des desirs errants et perdus? L'homme vindicatif que tu n'as pu, vivante, Malgre tant d'amour, assouvir, Combla-t-il sur ta chair inerte et complaisante L'immensite de son desir? Reponds, cadavre impur! et par tes tresses roides Te soulevant d'un bras fievreux, Dis-moi, tete effrayante, as-tu sur tes dents froides, Colle les supremes adieux? --Loin du monde railleur, loin de la foule impure, Loin des magistrats curieux, Dors en paix, dors en paix, etrange creature, Dans ton tombeau mysterieux; Ton epoux court le monde, et ta forme immortelle Veille pres de lui quand il dort; Autant que toi sans doute il te sera fidele, Et constant jusques a la mort. FEMMES DAMNEES Comme un betail pensif sur le sable couchees, Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers, Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochees Ont de douces langueurs et des frissons amers: Les unes, coeurs epris des longues confidences, Dans le fond des bosquets ou jasent les ruisseaux, Vont epelant l'amour des craintives enfances Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux; D'autres, comme des soeurs, marchent lentes et graves A travers les rochers pleins d'apparitions, Ou saint Antoine a vu surgir comme des laves Les seins nus et pourpres de ses tentations; Il en est, aux lueurs des resines croulantes, Qui dans le creux muet des vieux antres paiens T'appellent au secours de leurs fievres hurlantes, O Bacchus, endormeur des remords anciens! Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires, Qui, recelant un fouet sous leurs longs vetements, Melent dans le bois sombre et les nuits solitaires L'ecume du plaisir aux larmes des tourments. O vierges, o demons, o monstres, o martyres, De la realite grands esprits contempteurs, Chercheuses d'infini, devotes et satyres, Tantot pleines de cris, tantot pleines de pleurs, Vous que dans votre enfer mon ame a poursuivies, Pauvres soeurs, je vous aime autant que je vous plains, Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies, Et les urnes d'amour dont vos grands coeurs sont pleins! LES DEUX BONNES SOEURS La Debauche et la Mort sont deux aimables filles, Prodigues de baisers et riches de sante, Dont le flanc toujours vierge et drape de guenilles Sous l'eternel labeur n'a jamais enfante. Au poete sinistre, ennemi des familles. Favori de l'enfer, courtisan mal rente, Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles Un lit que le remords n'a jamais frequente. Et la biere et l'alcove en blasphemes fecondes Nous offrent tour a tour, comme deux bonnes soeurs, De terribles plaisirs et d'affreuses douceurs. Quand veux-tu m'enterrer, Debauche aux bras immondes? O Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits, Sur ses myrtes infects entre tes noirs cypres? ALLEGORIE C'est une femme belle et de riche encolure, Qui laisse dans son vin trainer sa chevelure. Les griffes de l'amour, les poisons du tripot, Tout glisse et tout s'emousse au granit de sa peau. Elle rit a la Mort et nargue la Debauche, Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche, Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecte De ce corps ferme et droit la rude majeste. Elle marche en deesse et repose en sultane; Elle a dans le plaisir la foi mahometane, Et dans ses bras ouverts que remplissent ses seins, Elle appelle des yeux la race des humains. Elle croit, elle sait, cette vierge infeconde Et pourtant necessaire a la marche du monde, Que la beaute du corps est un sublime don Qui de toute infamie arrache le pardon; Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire, Et, quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire, Elle regardera la face de la Mort, Ainsi qu'un nouveau-ne,--sans haine et sans remord. UN VOYAGE A CYTHERE Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux Et planait librement a l'entour des cordages; Le navire roulait sous un ciel sans nuages, Comme un ange enivre du soleil radieux. Quelle est cette ile triste et noire?--C'est Cythere, Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons, Eldorado banal de tous les vieux garcons. Regardez, apres tout, c'est une pauvre terre. --Il des doux secrets et des fetes du coeur! De l'antique Venus le superbe fantome Au-dessus de tes mers plane comme un arome, Et charge les esprits d'amour et de langueur. Belle ile aux myrtes verts, pleine de fleurs ecloses, Veneree a jamais par toute nation, Ou les soupirs des coeurs en adoration Roulent comme l'encens sur un jardin de roses Ou le roucoulement eternel d'un ramier --Cythere n'etait plus qu'un terrain des plus maigres, Un desert rocailleux trouble par des cris aigres. J'entrevoyais pourtant un objet singulier; Ce n'etait pas un temple aux ombres bocageres, Ou la jeune pretresse, amoureuse des fleurs, Allait, le corps brule de secretes chaleurs, Entre-baillant sa robe aux brises passageres; Mais voila qu'en rasant la cote d'assez pres Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches Nous vimes que c'etait un gibet a trois branches, Du ciel se detachant en noir, comme un cypres. De feroces oiseaux perches sur leur pature Detruisaient avec rage un pendu deja mur, Chacun plantant, comme un outil, son bec impur Dans tous les coins saignants de cette pourriture; Les yeux etaient deux trous, et du ventre effondre Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses, Et ses bourreaux gorges de hideuses delices L'avaient a coups de bec absolument chatre. Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupedes, Le museau releve, tournoyait et rodait; Une plus grande bete au milieu s'agitait Comme un executeur entoure de ses aides. Habitant de Cythere, enfant d'un ciel si beau, Silencieusement tu souffrais ces insultes En expiation de tes infames cultes Et des peches qui t'ont interdit le tombeau. Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes! Je sentis a l'aspect de tes membres flottants, Comme un vomissement, remonter vers mes dents Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes; Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher, J'ai senti tous les becs et toutes les machoires Des corbeaux lancinants et des pantheres noires Qui jadis aimaient tant a triturer ma chair. --Le ciel etait charmant, la mer etait unie; Pour moi tout etait noir et sanglant desormais, Helas! et j'avais, comme en un suair epais, Le coeur enseveli dans cette allegorie. Dans ton ile, o Venus! je n'ai trouve debout Qu'un gibet symbolique ou pendait mon image. --Ah! Seigneur! donnez-moi la force et le courage De contempler mon coeur et mon corps sans degout! REVOLTE ABEL ET CAIN I Race d'Abel, dors, bois et mange: Dieu le sourit complaisamment, Race de Cain, dans la fange Rampe et meurs miserablement. Race d'Abel, ton sacrifice Flatte le nez du Seraphin! Race de Cain, ton supplice Aura-t-il jamais une fin? Race d'Abel, vois tes semailles Et ton betail venir a bien; Race de Cain, tes entrailles Hurlent la faim comme un vieux chien. Race d'Abel, chauffe ton ventre A ton foyer patriarcal; Race de Cain, dans ton antre Tremble de froid, pauvre chacal! Race d'Abel, aime et pullule: Ton or fait aussi des petits; Race de Cain, coeur qui brule, Prends garde a ces grands appetits. Race d'Abel, tu crois et broutes Comme les punaises des bois! Race de Cain, sur les routes Traine ta famille aux abois. II Ah! race d'Abel, ta charogne Engraissera le sol fumant! Race de Cain, ta besogne N'est pas faite suffisamment; Race d'Abel, voici ta honte: Le fer est vaincu par l'epieu! Race de Cain, au ciel monte Et sur la terre jette Dieu! LES LITANIES DE SATAN O toi, le plus savant et le plus beau des Anges, Dieu trahi par le sort et prive de louanges, O Satan, prends pitie de ma longue misere! O Prince de l'exil, a qui l'on a fait tort, Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines, Guerisseur familier des angoisses humaines, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi qui, meme aux lepreux, aux parias maudits, Enseignes par l'amour le gout du Paradis, O Satan, prends pitie de ma longue misere! O toi, qui de la Mort, ta vieille et forte amante, Engendras l'Esperance,--une folle charmante! O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut Qui damne tout un peuple autour d'un echafaud, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi qui sais en quel coin des terres envieuses Le Dieu jaloux cacha les pierres precieuses, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi dont l'oeil clair connait les profonds arsenaux Ou dort enseveli le peuple des metaux, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi dont la large main cache les precipices Au somnambule errant au bord des edifices, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi qui, magiquement, assouplis les vieux os De l'ivrogne attarde foule par les chevaux, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi qui, pour consoler l'homme frele qui souffre, Nous appris a meler le salpetre et le soufre. O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi qui poses ta marque, o complice subtil, Sur le front du Cresus impitoyable et vil, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Toi qui mets dans les yeux et dans le coeur des filles Le culte de la plaie et l'amour des guenilles, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Baton des exiles, lampe des inventeurs, Confesseur des pendus et des conspirateurs, O Satan, prends pitie de ma longue misere! Pere adoptif de ceux qu'en sa noire colere Du Paradis terrestre a chasses Dieu le Pere, O Satan, prends pitie de ma longue misere! PRIERE Gloire et louange a toi, Satan, dans les hauteurs Du Ciel, ou tu regnas, et dans les profondeurs De l'Enfer ou, vaincu, tu reves en silence! Fais que mon ame un jour, sous l'Arbre de Science, Pres de toi se repose, a l'heure ou sur ton front Comme un Temple nouveau ses rameaux s'epandront! LA MORT LA MORT DES AMANTS Nous aurons des lits pleins d'odeurs legeres, Des divans profonds comme des tombeaux, Et d'etranges fleurs sur des etageres, Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux. Usant a l'envi leurs chaleurs dernieres, Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux, Qui reflechiront leurs doubles lumieres Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux. Un soir fait de rose et de bleu mystique, Nous echangerons un eclair unique, Comme un long sanglot, tout charge d'adieux; Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes, Viendra ranimer, fidele et joyeux, Les miroirs ternis et les flammes mortes. LA MORT DES PAUVRES C'est la Mort qui console, helas! et qui fait vivre; C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir Qui, comme un elixir, nous monte et nous enivre, Et nous donne le coeur de marcher jusqu'au soir; A travers la tempete, et la neige et le givre, C'est la clarte vibrante a notre horizon noir; C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre, Ou l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir; C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnetiques Le sommeil et le don des reves extatiques, Et qui refait le lit des gens pauvres et nus; C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique, C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique, C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus! LE REVE D'UN CURIEUX Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse, Et de toi fais-tu dire: « Oh! l'homme singulier! » --J'allais mourir. C'etait dans mon ame amoureuse, Desir mele d'horreur, un mal particulier; Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse. Plus allait se vidant le fatal sablier, Plus ma torture etait apre et delicieuse; Tout mon coeur s'arrachait au monde familier. J'etais comme l'enfant avide du spectacle, Haissant le rideau comme on hait un obstacle... Enfin la verite froide se revela: J'etais mort sans surprise, et la terrible aurore M'enveloppait.--Eh quoi! n'est-ce donc que cela? La toile etait levee et j'attendais encore. LE VOYAGE A MAXIME DU CAMP I Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes, L'univers est egal a son vaste appetit. Ah! que le monde est grand a la clarte des lampes! Aux yeux du souvenir que le monde est petit! Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, Le coeur gros de rancune et de desirs amers, Et nous allons, suivant le rythme de la lame, Bercant notre infini sur le fini des mers: Les uns, joyeux de fuir une patrie infame; D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns, Astrologues noyes dans les yeux d'une femme, La Circe tyrannique aux dangereux parfums. Pour n'etre pas changes en betes, ils s'enivrent D'espace et de lumiere et de cieux embrases; La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent, Effacent lentement la marque des baisers. Mais les vrais voyageurs sont ceux-la seuls qui partent Pour partir; coeurs legers, semblables aux ballons, De leur fatalite jamais ils ne s'ecartent, Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons! Ceux-la dont les desirs ont la forme des nues, Et qui revent, ainsi qu'un conscrit le canon, De vastes voluptes, changeantes, inconnues, Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom! II Nous imitons, horreur! la toupie et la boule Dans leur valse et leurs bonds; meme dans nos sommeils La Curiosite nous tourmente et nous roule, Comme un Ange cruel qui fouette des soleils. Singuliere fortune ou le but se deplace, Et, n'etant nulle part, peut etre n'importe ou! Ou l'Homme, dont jamais l'esperance n'est lasse, Pour trouver le repos court toujours comme un fou! Notre ame est un trois-mats cherchant son Icarie; Une voix retentit sur le pont: « Ouvre l'oeil! » Une voix de la hune, ardente et folle, crie: « Amour... gloire... bonheur! » Enfer! c'est un ecueil! Chaque ilot signale par l'homme de vigie Est un Eldorado promis par le Destin; L'Imagination qui dresse son orgie Ne trouve qu'un recit aux clartes du matin. O le pauvre amoureux des pays chimeriques! Faut-il le mettre aux fers, le jeter a la mer, Ce matelot ivrogne, inventeur d'Ameriques Dont le mirage rend le gouffre plus amer? Tel le vieux vagabond, pietinant dans la boue, Reve, le nez en l'air, de brillants paradis; Son oeil ensorcele decouvre une Capoue Partout ou la chandelle illumine un taudis. III Etonnants voyageurs! quelles nobles histoires Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers! Montrez-nous les ecrins de vos riches memoires, Les bijoux merveilleux, faits d'astres et d'ethers. Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile! Faites, pour egayer l'ennui de nos prisons, Passer sur nos esprits, tendus comme une toile, Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons. Dites, qu'avez-vous vu? IV « Nous avons vu des astres Et des flots; nous avons vu des sables aussi; Et, malgre bien des chocs et d'imprevus desastres, Nous nous sommes souvent ennuyes, comme ici. La gloire du soleil sur la mer violette, La gloire des cites dans le soleil couchant, Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiete De plonger dans un ciel au reflet allechant. Les plus riches cites, les plus grands paysages, Jamais ne contenaient l'attrait mysterieux De ceux que le hasard fait avec les nuages, Et toujours le desir nous rendait soucieux! --La jouissance ajoute au desir de la force. Desir, vieil arbre a qui le plaisir sert d'engrais, Cependant que grossit et durcit ton ecorce, Tes branches veulent voir le soleil de plus pres! Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace Que le cypres?--Pourtant nous avons, avec soin, Cueilli quelques croquis pour votre album vorace, Freres qui trouvez beau tout ce qui vient de loin! Nous avons salue des idoles a trompe; Des trones constelles de joyaux lumineux; Des palais ouvrages dont la feerique pompe Serait pour vos banquiers un reve ruineux; Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse; Des femmes dont les dents et les ongles sont teints Et des jongleurs savants que le serpent caresse. » V Et puis, et puis encore? VI « O cerveaux enfantins! Pour ne pas oublier la chose capitale, Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherche, Du haut jusques en bas de l'echelle fatale, Le spectacle ennuyeux de l'immortel peche: La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide, Sans rire s'adorant et s'aimant sans degout: L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide, Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'egout; Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote; La fete qu'assaisonne et parfume le sang; Le poison du pouvoir enervant le despote, Et le peuple amoureux du fouet abrutissant; Plusieurs religions semblables a la notre, Toutes escaladant le ciel; la Saintete, Comme en un lit de plume un delicat se vautre, Dans les clous et le crin cherchant la volupte; L'Humanite bavarde, ivre de son genie, Et, folle maintenant comme elle etait jadis, Criant a Dieu, dans sa furibonde agonie: « O mon semblable, o mon maitre, je te maudis! » Et les moins sots, hardis amants de la Demence, Fuyant le grand troupeau parque par le Destin, Et se refugiant dans l'opium immense! --Tel est du globe entier l'eternel bulletin. » VII Amer savoir, celui qu'on tire du voyage! Le monde, monotone et petit, aujourd'hui, Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image; Une oasis d'horreur dans un desert d'ennui! Faut-il partir? rester? Si tu peux rester, reste; Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste, Le Temps! Il est, helas! des coureurs sans repit, Comme le Juif errant et comme les apotres, A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau, Pour fuir ce retiaire infame; il en est d'autres Qui savent le tuer sans quitter leur berceau. Lorsque enfin il mettra le pied sur notre echine, Nous pourrons esperer et crier: En avant! De meme qu'autrefois nous partions pour la Chine, Les yeux fixes an large et les cheveux au vent, Nous nous embarquerons sur la mer des Tenebres Avec le coeur joyeux d'un jeune passager. Entendez-vous ces voix, charmantes et funebres, Qui chantent: « Par ici! vous qui voulez manger Le Lotus parfume! c'est ici qu'on vendange Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim; Venez vous enivrer de la couleur etrange De cette apres-midi qui n'a jamais de fin? » A l'accent familier nous devinons le spectre; Nos Pylades la-bas tendent leurs bras vers nous. « Pour rafraichir ton coeur nage vers ton Electre! » Dit celle dont jadis nous baisions les genoux. VIII O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre! Ce pays nous ennuie, o Mort! Appareillons! Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre, Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons! Verse-nous ton poison pour qu'il nous reconforte! Nous voulons, tant ce feu nous brule le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe? Au fond de l'Inconnu pour trouver du _nouveau!_ PIECES CONDAMNEES LES BIJOUX La tres chere etait nue, et, connaissant mon coeur, Elle n'avait garde que ses bijoux sonores, Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur, Ce monde rayonnant de metal et de pierre Me ravit en extase, et j'aime avec fureur Les choses ou le son se mele a la lumiere. Elle etait donc couchee, et se laissait aimer, Et du haut du divan elle souriait d'aise A mon amour profond et doux comme la mer Qui vers elle montait comme vers sa falaise. Les yeux fixes sur moi, comme un tigre dompte, D'un air vague et reveur elle essayait des poses, Et la candeur unie a la lubricite Donnait un charme neuf a ses metamorphoses. Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins, Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne, Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins; Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne S'avancaient plus calins que les anges du mal, Pour troubler le repos ou mon ame etait mise, Et pour la deranger du rocher de cristal, Ou calme et solitaire elle s'etait assise. Je croyais voir unis par un nouveau dessin Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe, Tant sa taille faisait ressortir son bassin. Sur ce teint fauve et brun le fard etait superbe! --Et la lampe s'etant resignee a mourir, Comme le foyer seul illuminait la chambre, Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir, Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre! LE LETHE Viens sur mon coeur, ame cruelle et sourde, Tigre adore, monstre aux airs indolents; Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants Dans l'epaisseur de ta criniere lourde; Dans tes jupons remplis de ton parfum Ensevelir ma tete endolorie, Et respirer, comme une fleur fletrie, Le doux relent de mon amour defunt. Je veux dormir! dormir plutot que vivre! Dans un sommeil, douteux comme la mort, J'etalerai mes baisers sans remord Sur ton beau corps poli comme le cuivre. Pour engloutir mes sanglots apaises Rien ne me vaut l'abime de ta couche; L'oubli puissant habite sur ta bouche, Et le Lethe coule dans tes baisers. A mon destin, desormais mon delice, J'obeirai comme un predestine; Martyr docile, innocent condamne, Dont la ferveur attise le supplice, Je sucerai, pour noyer ma rancoeur, Le nepenthes et la bonne cigue Aux bouts charmants de cette gorge aigue Qui n'a jamais emprisonne de coeur. A CELLE QUI EST TROP GAIE Ta tete, ton geste, ton air Sont beaux comme un beau paysage; Le rire joue en ton visage Comme un vent frais dans un ciel clair. Le passant chagrin que tu froles Est ebloui par la sante Qui jaillit comme une clarte De tes bras et de tes epaules. Les retentissantes couleurs Dont tu parsemes tes toilettes Jettent dans l'esprit des poetes L'image d'un ballet de fleurs. Ces robes folles sont l'embleme De ton esprit bariole; Folle dont je suis affole, Je te hais autant que je t'aime! Quelquefois dans un beau jardin, Ou je trainais mon atonie, J'ai senti comme une ironie Le soleil dechirer mon sein; Et le printemps et la verdure Ont tant humilie mon coeur Que j'ai puni sur une fleur L'insolence de la nature. Ainsi, je voudrais, une nuit, Quand l'heure des voluptes sonne, Vers les tresors de ta personne Comme un lache ramper sans bruit, Pour chatier ta chair joyeuse, Pour meurtrir ton sein pardonne, Et faire a ton flanc etonne Une blessure large et creuse, Et, vertigineuse douceur! A travers ces levres nouvelles, Plus eclatantes et plus belles, T'infuser mon venin, ma soeur! LESBOS Mere des jeux latins et des voluptes grecques, Lesbos, ou les baisers languissants ou joyeux, Chauds comme les soleils, frais comme les pasteques, Font l'ornement des nuits et des jours glorieux, --Mere des jeux latins et des voluptes grecques, Lesbos, ou les baisers sont comme les cascades Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds Et courent, sanglotant et gloussant par saccades, --Orageux et secrets, fourmillants et profonds; Lesbos, ou les baisers sont comme les cascades! Lesbos ou les Phrynes l'une l'autre s'attirent, Ou jamais un soupir ne resta sans echo, A l'egal de Paphos les etoiles t'admirent, Et Venus a bon droit peut jalouser Sapho! --Lesbos ou les Phrynes l'une l'autre s'attirent. Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses, Qui font qu'a leurs miroirs, sterile volupte, Les filles aux yeux creux, de leurs corps amoureuses, Caressent les fruits murs de leur nubilite, Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses, Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austere; Tu tires ton pardon de l'exces des baisers, Reine du doux empire, aimable et noble terre, Et des raffinements toujours inepuises. Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austere. Tu tires ton pardon de l'eternel martyre Inflige sans relache aux coeurs ambitieux Qu'attire loin de nous le radieux sourire Entrevue vaguement au bord des autres cieux; Tu tires ton pardon de l'eternel martyre! Qui des Dieux osera, Lesbos, etre ton juge, Et condamner ton front pali dans les travaux, Si ses balances d'or n'ont pese le deluge De larmes qu'a la mer ont verse tes ruisseaux? Qui des Dieux osera, Lesbos, etre ton juge? Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste? Vierges au coeur sublime, honneur de l'archipel, Votre religion comme une autre est auguste, Et l'amour se rira de l'enfer et du ciel! --Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste? Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre Pour chanter le secret de ses vierges en fleur, Et je fus des l'enfance admis au noir mystere Des rires effrenes meles au sombre pleur;, Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre, Et depuis lors je veille au sommet de Leucate, Comme une sentinelle, a l'oeil percant et sur, Qui guette nuit et jour brick, tartane ou fregate, Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur, --Et depuis lors je veille au sommet de Leucate Pour savoir si la mer est indulgente et bonne, Et parmi les sanglots dont le roc retentit Un soir ramenera vers Lesbos qui pardonne Le cadavre adore de Sapho qui partit Pour savoir si la mer est indulgente et bonne! De la male Sapho, l'amante et le poete, Plus belle que Venus par ses mornes paleurs! --L'oeil d'azur est vaincu par l'oeil noir que tachette Le cercle tenebreux trace par les douleurs De la male Sapho, l'amante et le poete! --Plus belle que Venus se dressant sur le monde Et versant les tresors de sa serenite Et le rayonnement de sa jeunesse blonde Sur le vieil Ocean de sa fille enchante; Plus belle que Venus se dressant sur le monde! --De Sapho qui mourut le jour de son blaspheme, Quand, insultant le rite et le culte invente, Elle fit son beau corps la pature supreme D'un brutal dont l'orgueil punit l'impiete De Sapho qui mourut le jour de son blaspheme. Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente, Et, malgre les honneurs que lui rend l'univers, S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente Que poussent vers les deux ses rivages deserts. Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente! FEMMES DAMNEES A la pale clarte des lampes languissantes, Sur de profonds coussins tout impregnes d'odeur, Hippolyte revait aux caresses puissantes Qui levaient le rideau de sa jeune candeur. Elle cherchait d'un oeil trouble par la tempete De sa naivete le ciel deja lointain, Ainsi qu'un voyageur qui retourne la tete Vers les horizons bleus depasses le matin. De ses yeux amortis les paresseuses larmes, L'air brise, la stupeur, la morne volupte, Ses bras vaincus, jetes comme de vaines armes, Tout servait, tout parait sa fragile beaute. Etendue a ses pieds, calme et pleine de joie, Delphine la couvait avec des yeux ardents, Comme un animal fort qui surveille une proie, Apres l'avoir d'abord marquee avec les dents. Beaute forte a genoux devant la beaute frele, Superbe, elle humait voluptueusement Le vin de son triomphe, et s'allongeait vers elle Comme pour recueillir un doux remerciment. Elle cherchait dans l'oeil de sa pale victime Le cantique muet que chante le plaisir Et cette gratitude infinie et sublime Qui sort de la paupiere ainsi qu'un long soupir: --« Hippolyte, cher coeur, que dis-tu de ces choses? Comprends-tu maintenant qu'il ne faut pas offrir L'holocauste sacre de tes premieres roses Aux souffles violents qui pourraient les fletrir? Mes baisers sont legers comme ces ephemeres Qui caressent le soir les grands lacs transparents, Et ceux de ton amant creuseront leurs ornieres Comme des chariots ou des socs dechirants; Ils passeront sur toi comme un lourd attelage De chevaux et de boeufs aux sabots sans pitie... Hippolyte, o ma soeur! tourne donc ton visage, Toi, mon ame et mon coeur, mon tout et ma moitie, Tourne vers moi tes yeux pleins d'azur et d'etoiles! Pour un de ces regards charmants, baume divin, Des plaisirs plus obscurs je leverai les voiles, Et je t'endormirai dans un reve sans fin! » Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tete: --« Je ne suis point ingrate et ne me repens pas, Ma Delphine, je souffre et je suis inquiete, Comme apres un nocturne et terrible repas. Je sens fondre sur moi de lourdes epouvantes Et de noirs bataillons de fantomes epars, Qui veulent me conduire en des routes mouvantes Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts. Avons-nous donc commis une action etrange? Expliques, si tu peux, mon trouble et mon effroi: Je frissonne de peur quand tu me dis: mon ange! Et cependant je sens ma bouche aller vers toi. Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensee, Toi que j'aime a jamais, ma soeur d'election, Quand meme tu serais une embuche dressee, Et le commencement de ma perdition! » Delphine secouant sa criniere tragique, Et comme trepignant sur le trepied de fer, L'oeil fatal, repondit d'une voix despotique: --« Qui donc devant l'amour ose parler d'enfer? Maudit soit a jamais le reveur inutile, Qui voulut le premier dans sa stupidite, S'eprenant d'un probleme insoluble et sterile, Aux choses de l'amour meler l'honnetete! Celui qui veut unir dans un accord mystique L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour, Ne chauffera jamais son corps paralytique A ce rouge soleil que l'on nomme l'amour! Va, si tu veux, chercher un fiance stupide; Cours offrir un coeur vierge a ses cruels baisers; Et, pleine de remords et d'horreur, et livide, Tu me rapporteras tes seins stigmatises; On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maitre! » Mais l'enfant, epanchant une immense douleur, Cria soudain: « Je sens s'elargir dans mon etre Un abime beant; cet abime est mon coeur, Brulant comme un volcan, profond comme le vide; Rien ne ressasiera ce monstre gemissant Et ne refraichira la choif de l'Eumenide, Qui, la torche a la main, le brule jusqu'au sang. Que nos rideaux fermes nous separent du monde, Et que la lassitude amene le repos! Je veux m'aneantir dans ta gorge profonde, Et trouver sur ton sein la fraicheur des tombeaux. » Descendez, descendez, lamentables victimes, Descendez le chemin de l'enfer eternel; Plongez au plus profond du gouffre ou tous les crimes, Flagelles par un vent qui ne vient pas du ciel, Bouillonnent pele-mele avec un bruit d'orage; Ombres folles, courez au but de vos desirs; Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage, Et votre chatiment naitra de vos plaisirs. Jamais un rayon frais n'eclaira vos cavernes; Par les fentes des murs des miasmes fievreux Filent en s'enflammant ainsi que des lanternes Et penetrent vos corps de leurs parfums affreux. L'apre sterilite de votre jouissance Altere votre soif et roidit votre peau, Et le vent furibond de la concupiscence Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieux drapeau. Loin des peuples vivants, errantes, condamnees, A travers les deserts courez comme les loups; Faites votre destin, ames desordonnees, Et fuyez l'infini que vous portez en vous! LES METAMORPHOSES DU VAMPIRE La femme cependant de sa bouche de fraise, En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise, Et petrissant ses seins sur le fer de son busc, Laissait couler ces mots tout impregnes de musc: --« Moi, j'ai la levre humide, et je sais la science De perdre au fond d'un lit l'antique conscience. Je seche tous les pleurs sur mes seins triomphants Et fais rire les vieux du rire des enfants. Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles, La lune, le soleil, le ciel et les etoiles! Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptes, Lorsque j'etouffe un homme en mes bras veloutes, Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste, Timide et libertine, et fragile et robuste, Que sur ces matelas qui se pame d'emoi Les Anges impuissants se damneraient pour moi! » Quand elle eut de mes os suce toute la moelle, Et que languissamment je me tournai vers elle Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus! Je fermai les deux yeux dans ma froide epouvante, Et, quand je les rouvris a la clarte vivante, A mes cotes, au lieu du mannequin puissant Qui semblait avoir fait provision de sang, Tremblaient confusement des debris de squelette, Qui d'eux-memes rendaient le cri d'une girouette Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer, Que balance le vent pendant les nuits d'hiver. End of the Project Gutenberg EBook of Les Fleurs du Mal, by Charles Baudelaire *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES FLEURS DU MAL *** This file should be named 8flrm10.txt or 8flrm10.zip Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 8flrm11.txt VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 8flrm10a.txt Produced by Tonya Allen, Julie Barkley, Juliet Sutherland, Charles Franks and the Online Distributed Proofreading Team. Project Gutenberg eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not keep eBooks in compliance with any particular paper edition. We are now trying to release all our eBooks one year in advance of the official release dates, leaving time for better editing. Please be encouraged to tell us about any error or corrections, even years after the official publication date. Please note neither this listing nor its contents are final til midnight of the last day of the month of any such announcement. The official release date of all Project Gutenberg eBooks is at Midnight, Central Time, of the last day of the stated month. A preliminary version may often be posted for suggestion, comment and editing by those who wish to do so. Most people start at our Web sites at: http://gutenberg.net or http://promo.net/pg These Web sites include award-winning information about Project Gutenberg, including how to donate, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter (free!). Those of you who want to download any eBook before announcement can get to them as follows, and just download by date. This is also a good way to get them instantly upon announcement, as the indexes our cataloguers produce obviously take a while after an announcement goes out in the Project Gutenberg Newsletter. http://www.ibiblio.org/gutenberg/etext03 or ftp://ftp.ibiblio.org/pub/docs/books/gutenberg/etext03 Or /etext02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90 Just search by the first five letters of the filename you want, as it appears in our Newsletters. Information about Project Gutenberg (one page) We produce about two million dollars for each hour we work. The time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our projected audience is one hundred million readers. If the value per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2 million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+ We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002 If they reach just 1-2% of the world's population then the total will reach over half a trillion eBooks given away by year's end. The Goal of Project Gutenberg is to Give Away 1 Trillion eBooks! This is ten thousand titles each to one hundred million readers, which is only about 4% of the present number of computer users. Here is the briefest record of our progress (* means estimated): eBooks Year Month 1 1971 July 10 1991 January 100 1994 January 1000 1997 August 1500 1998 October 2000 1999 December 2500 2000 December 3000 2001 November 4000 2001 October/November 6000 2002 December* 9000 2003 November* 10000 2004 January* The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been created to secure a future for Project Gutenberg into the next millennium. We need your donations more than ever! As of February, 2002, contributions are being solicited from people and organizations in: Alabama, Alaska, Arkansas, Connecticut, Delaware, District of Columbia, Florida, Georgia, Hawaii, Illinois, Indiana, Iowa, Kansas, Kentucky, Louisiana, Maine, Massachusetts, Michigan, Mississippi, Missouri, Montana, Nebraska, Nevada, New Hampshire, New Jersey, New Mexico, New York, North Carolina, Ohio, Oklahoma, Oregon, Pennsylvania, Rhode Island, South Carolina, South Dakota, Tennessee, Texas, Utah, Vermont, Virginia, Washington, West Virginia, Wisconsin, and Wyoming. We have filed in all 50 states now, but these are the only ones that have responded. As the requirements for other states are met, additions to this list will be made and fund raising will begin in the additional states. Please feel free to ask to check the status of your state. In answer to various questions we have received on this: We are constantly working on finishing the paperwork to legally request donations in all 50 states. If your state is not listed and you would like to know if we have added it since the list you have, just ask. While we cannot solicit donations from people in states where we are not yet registered, we know of no prohibition against accepting donations from donors in these states who approach us with an offer to donate. International donations are accepted, but we don't know ANYTHING about how to make them tax-deductible, or even if they CAN be made deductible, and don't have the staff to handle it even if there are ways. Donations by check or money order may be sent to: Project Gutenberg Literary Archive Foundation PMB 113 1739 University Ave. Oxford, MS 38655-4109 Contact us if you want to arrange for a wire transfer or payment method other than by check or money order. 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